Introduction : position du problème
Nous revenons aujourd’hui sur un thème qui a été déjà abordé au cours des 18 derniers mois. Didier Carsin l’avait traité indirectement en parlant de la critique de la religion naturelle par Hume. Dominique Jouault nous avait donné à penser les rapports de Dieu et de la nature selon Pascal. On y revient aujourd’hui sous angle tout à fait différent. Dans la pensée de Pascal, Dieu n’est pas visible dans la nature, il est un « Dieu caché ». Ce que nous allons voir aujourd’hui, ce n’est pas un Dieu caché mais au contraire un Dieu si présent que tout ce qui est ne peut être et être conçu qu’en lui, un Dieu si présent que la béatitude consiste en quelque sorte à penser en Dieu. Je vais donc parler du « Dieu de Spinoza », pour reprendre une expression d’Einstein, un Dieu qu’on a pris l’habitude, un peu trop rapide d’identifier à la nature : un voyageur allemand écrivait en 1662, décrit certains amis de Spinoza qu’il avait rencontrés, comme des athées qui, bien que ne déclarant pas eux-mêmes athées, ne faisaient que parler de Dieu : « Mais, ajoute-t-il, par Dieu, ils n’entendent rien d’autre que l’univers comme cela apparaît dans un écrit de langue néerlandaise, récemment rédigé de manière systématique, sans nom d’auteur. »[1] Cette tradition aura la vie longue. La formule, Deus sive natura, « Dieu, c’est-à-dire la nature », résumera pour longtemps la théologie et l’ontologie de Spinoza. Au point qu’on fera de Spinoza un matérialiste athée qui ne garde le nom de Dieu que pour avoir la paix avec les religieux. Mais je crois qu’il faut, une bonne fois pour toutes renoncer à cette lecture de Spinoza. Il n’était nullement obligé de parler de Dieu. Son Éthique n’aurait que peu attiré l’attention si à la place de Dieu, Spinoza avait écrit « nature » ou « réalité » ou « univers ». En outre Spinoza, qui a tout de même écrit le Traité théologico-politique, n’avait sans doute qu’une crainte modérée d’énerver les autorités religieuses, en dépit de sa prudence légendaire. Et puis, il faut bien le dire, la formule Deus seu natura ne fait qu’une apparition furtive la préface de la quatrième partie de l’Éthique :
« cet Être éternel et infini que nous appelons Dieu ou la Nature, agit avec la même nécessité qu’il existe. »
Cette formule résume assez bien la pensée de Spinoza, à condition d’inclure, dans la nature, la nature de Dieu, ou plutôt à condition de faire de ce que nous appelons nature une « partie », si j’ose dire, de la nature divine ! à condition de bien vouloir se rappeler que pour Spinoza l’esprit et les pensées dont il est composé sont choses aussi naturelles que les os, le cerveau ou les neurones !
Du reste, il est une deuxième tradition issue de Spinoza, celle qui fera du spinozisme un « panthéisme », une religion du « grand tout ». Spinoza n’est pas un athée, il est « ivre de Dieu » dit de lui Novalis. Hegel affirme que l’accusation d’athéisme lancée contre Spinoza est absurde et qu’on pourrait bien plutôt lui reprocher son acosmisme, c’est-à-dire sa résorption du monde dans Dieu.
La question est épineuse qu’il est toute une tradition française contemporaine de « spinozistes » (je pense à certains anciens élèves d’Althusser, à des disciples de Toni Negri et quelques autres encore) qui ont redimensionné l’Éthique pour en tirer ce qu’ils désiraient en tirer. La première partie de L’Éthique, s’intitule « De Dieu » et la dernière qui s’intitule « De la puissance de l’intellect ou de la liberté humaine » la suprême béatitude qui réside dans « l’amour intellectuel de Dieu ». Vous supprimez la première et la dernière partie et vous voilà largement débarrassés de Dieu ! On pourrait encore garder la première partie, en forçant un peu les choses, et la retraduire dans le vocabulaire du matérialisme. Mais avec la cinquième partie, ce n’est plus du tout possible. Et l’embarras de certains commentateurs quand ils arrivent à l’amour intellectuel de Dieu fait souvent peine à voir.
Pour en finir avec cette introduction, je dois dire que moi aussi j’ai commencé à lire Spinoza, il y a plus de 40 ans maintenant, avec des lunettes matérialistes et c’est de relire et méditer l’Éthique, de butter toujours sur les mêmes passages incompréhensibles, que j’ai fini par admettre que je faisais fausse route. Voilà : Spinoza n’est ni le précurseur du matérialisme du XVIIIe siècle, ni encore moins celui du matérialisme dialectique de Engels et de Plekhanov. Mais j’ajoute qu’il n’est pas non plus une sorte de bouddhiste juif hollandais égaré.
Je ne vais pas refaire la démonstration de Spinoza. Il y faudrait des heures, sans y parvenir de manière satisfaisante. Il me semble plus judicieux d’y aboutir en partant précisément de la nature. On a l’habitude d’opposer la conception de la nature des Anciens, un monde clos (le « cosmos »), plein, ordonné selon des fins saisissables par l’homme, à la nature des modernes, un univers infini, vide et peuplé d’objets. La nature des Anciens est vivante – les stoïciens disaient que le cosmos est un gros anima – alors que l’univers des modernes est un univers mathématisé – « le grand livre de la nature est écrit en langage mathématique », disait Galilée. Dans notre mythologie à nous, notre mythologie de progressistes, le cosmos antique est préscientifique, il reflète une mentalité encore archaïque et pénétrée de mythes alors que l’univers galiléen serait la réalité elle-même, enfin saisir telle qu’elle et doit l’être par la raison humaine. Là où les Anciens percevaient les qualités différentes, les couleurs, tout ce qui se donnait en quelque sorte directement à notre esprit – il n’est rien dans l’esprit qui n’ait d’abord été dans les sens, disait Aristote – l’univers de la science moderne est complètement séparé du sujet connaissant, il lui est étranger et ne donne pas par les sens mais par les abstractions mathématiques. Là où nous voyons des différences qualitatives, il ne reste plus que des variations quantitatives : tout est question de lignes, de figures et de mouvement. Nous percevons des couleurs, mais ces couleurs ne sont que l’effet sur nous des ondes lumineuses qui ne se distinguent que par leur longueur d’onde ou par leur fréquence. D’une telle nature, Dieu est exilé – ce que Pascal avait bien vu et que Kant complètera en réduisant Dieu à n’être plus qu’un postulat de la raison pratique. Mais de cet univers, c’est aussi l’homme qui est exilé. Là aussi on pourrait évoquer l’effroi pascalien du « le silence des espaces infinis ».
Galilée et Descartes, qui invente la philosophie de la science galiléenne, ont défini les fondements de la science moderne de la nature et c’est cette science qui a triomphé, non seulement en physique et en mécanique mais aussi dans les sciences du vivant : la biologie moderne est cartésienne : le vivant n’a pas besoin de vie ou d’âme, il se réduit à des mouvements de corps obéissant aux lois de la physique. Si cette science a triomphé, la raison en tient sans aucun doute à sa puissance opératoire : La mathématisation du réel entraine la prévisibilité des résultats de nos actions. Et c’est bien ce que Galilée et Descartes comprenaient quand en ils envisageaient la portée de leur découverte : « nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature » !
Mais il faut comprendre toute la portée de cette révolution scientifique et philosophique qui est bien autre chose qu’un changement de centre du cosmos ou un passage « du monde clos à l’univers infini » pour reprendre le titre du livre de Koyré. C’est chez Husserl, dans La crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale que l’on trouve, à mon sens, la meilleure description de cette révolution et la meilleure compréhension de son sens.
Husserl résume ainsi ce qui se passe : « dès Galilée commence la substitution d’une nature idéalisée à la nature donnée dans l’intuition » (p.58) La réalité fondamentale, celle qui est donnée dans l’intuition, celle que nous éprouvons et vivons, c’est le « monde de la vie », le Lebenswelt dit Husserl, qui ajoute : « C’est ce monde que nous trouvons en tant que monde de toutes les réalités connues et inconnues. C’est à lui – le monde de l’intuition qui « éprouve » effectivement – qu’appartient la forme spatio-temporelle avec toutes les figures corporelles qui s’inscrivent en elle, c’est lui que nous-mêmes nous vivons, conformément à notre mode d’être, c’est-à-dire dans toute la chair de notre personne. Mais ici nous ne trouvons rien des idéalités géométriques ni l’espace géométrique, ni le temps mathématique avec toutes ses formes. » (p. 59)
Que signifie la domination de la science moderne ? Tout simplement ceci que les idéalisations mathématiques de la physique, de Galilée à nos jours, sont présentées comme étant la seule véritable réalité, alors que la réalité vécue, celle dans laquelle nous vivons, est dévalorisée, comme monde des apparences et des illusions, comme non-monde en quelque sorte. Soit dit en passant : quand certains matérialistes identifient matérialisme et science physique, quand ils disent que le matérialisme moderne est donné par la physique, ils ne se rendent pas compte que ce qu’ils appellent matière ce sont précisément ces idéalités géométriques, et donc ces matérialistes sont en réalité des idéalistes mais des idéalistes qui ignorent leur propre idéalisme.
Pour parler des mathématiques et de la science mathématique de la nature, Husserl emploie l’expression « vêtement de symboles » et c’est « le vêtement d’idées qui fait que nous prenons pour l’être vrai ce qui est méthode » (p.60).
Sans poursuivre plus cette lecture de Husserl qui nous emmènerait très loin, il faut en considérer maintenant les conséquences et la plus importante de ces conséquences est celle qui est énoncée au §10 de la Krisis : « l’origine du dualisme est dans le rôle de modèle dominant tenu par la science de la nature ». La physique galiléenne est une physique qui dirige sur le monde un regard ordonné par la géométrie et « fait abstraction des sujets en tant que personnes porteuses d’une vie personnelle » (p.69) Une fois cette abstraction de la culture et de la praxis humaine accomplie, il ne reste plus qu’un monde d’objets, un « monde-des-corps réellement séparé et refermé sur lui-même. » Dans une telle conception, l’esprit est donc séparé lui-aussi du corps, devenu pure pensée sans étendue pour parler comme Descartes.
C’est ce qui fonde ce dualisme si caractéristique de la pensée cartésienne : d’un côté une matière étendue et sans esprit et de l’autre un esprit non étendu, sans rapport avec la matière. D’un côté l’objectif, de l’autre le subjectif. Ou encore d’un côté le corps et de l’autre l’âme.
Mais évidemment ce dualisme n’est pas très satisfaisant : comme l’esprit individuel, ce moi pensant que je suis peut-il agir sur la matière qui constitue mon corps. Tout naturellement et c’est la pente que doit nécessairement suivre la science, l’esprit doit être ramené à la matière et conçu selon les méthodes des sciences de la nature. Mais un esprit matériel, ce n’est plus vraiment un esprit et le terrain est prêt pour ce qui vont définitivement donner congé à l’esprit, les matérialistes éliminativistes ou les partisans de « l’homme neuronal ». Mais ce matérialisme à son tour n’est pas très satisfaisant. L’élimination de l’esprit apparaît comme opération très coûteuse, notamment pour des raisons que j’ai eu l’occasion d’analyser jadis. Si bien que le dualisme chassé par la porte revient par la fenêtre sous de nouveaux oripeaux.
Ces difficultés inextricables viennent non pas de la science en elle-même mais de la transformation de la science moderne en une métaphysique non avouée comme telle. Il faut prendre le problème autrement et c’est précisément Spinoza qui le prend autrement. On se laisserait tromper en ne considérant que la forme de l’Éthique, sa construction more geometrico, avec ses définitions, ses axiomes, ses démonstrations conduisant à des propriétés, des corollaires, le tout commenté par des scolies. Cette forme a souvent conduit les historiens de la philosophie à classer Spinoza parmi les cartésiens et les rationalistes. Mais il s’agit de tout autre chose.
L’entreprise de Spinoza, c’est la construction d’un système, complet, qui refuse radicalement tout dualisme de l’esprit et de la matière comme chez Descartes, mais aussi toute dualité entre le monde sensible et le monde intelligible – tout ce que nous pouvons tout de même retenir de l’héritage de Platon.
Comment Spinoza s’y prend-il ? il commence par revenir à un très vieux principe philosophique, un principe que l’on trouve chez Parménide, par exemple, pour remonter à la philosophie grecque d’avant Socrate, le principe de l’identité de la pensée et de l’être. Il suffit de lire les premières définitions et même la première définition de l’Éthique pour le comprendre.
« E1D1 : J’entends par cause de soi ce dont l’essence enveloppe l’existence, autrement dit ce dont la nature ne peut être conçue qu’existante. »
Spinoza travaille avec le vocabulaire qu’il trouve tout prêt, qu’il hérite de la scolastique médiévale, mais il lui fait subir un traitement de choc pour l’adapter à son propos, d’où l’importance de ces définitions et de leur compréhension si on veut entrer dans le système de Spinoza. La « cause de soi » pourrait sembler une absurdité si on prend « cause » dans le sens de l’agent. Nous avons tendance spontanément à poser la question ainsi : A est causé par B qui est causé par C, etc. Et à un moment il faut trouver un point d’arrêt : les idéalistes mettent Dieu à ce point d’arrêt et les matérialistes y mettent la matière. Mais pour Spinoza, cette méthode régressive n’est pas la bonne méthode ! il ne faut pas arriver au commencement à reculons, il faut commencer par le commencement. Et après cette définition nous en trouvons une deuxième :
« E1D3. Par substance, j’entends ce qui est en soi et est conçu par soi, c’est-à-dire ce dont le concept n’a pas besoin du concept d’une autre chose pour être formé. »
À ces deux définitions, ajoutons-en une dernière, avant de passer d’un bond à l’essentiel :
« E1D6. Par Dieu, j’entends un être absolument infini, c’est-à-dire une substance consistant en une infinité d’attributs dont chacun exprime une essence éternelle et infinie. »
Les définitions n’ont pas d’autre but que d’éviter les malentendus. Il faut un vocabulaire pour savoir de quoi l’on parle ! Je passe sur l’ensemble des développements de la partie I qui nous conduisent à
« E1P11. Dieu, autrement dit une substance constituée par une infinité d’attributs dont chacun exprime une essence éternelle et infinie, existe nécessairement. »
« E1P14. En dehors de Dieu nulle substance ne peut être ni être conçue. »
1° que Dieu est unique, c’est-à-dire (selon la définition) que dans la Nature il n’est qu’une seule substance et qu’elle est absolument infinie, comme nous l’avons déjà indiqué dans le scolie de la proposition 10. »
2° Que la chose étendue et la chose pensante sont des attributs de Dieu ou (selon l’axiome I) des affections des attributs de Dieu. »
Tout cela est ramassé, exprimé dans un vocabulaire ardu mais pourtant assez facile à comprendre. Il n’est qu’une seule réalité et tout ce que nous pouvons concevoir appartient à cette réalité en dehors de laquelle rien ne peut être ni ne peut être conçu.
« E1P15. Tout ce qui est, est en Dieu, et rien sans Dieu ne peut ni être ni être conçu. »
Encore une fois remarquons le parallèle être/être conçu. Ce qui est concevable peut être et ce qui est concevable. Quand Spinoza dit que « rien sans Dieu ne peut ni être ni être conçu », il faut prendre concevoir dans les deux sens courants de ce mot : l’esprit conçoit des idées, la mère conçoit un enfant. Les idées et les choses sont produites par Dieu dans le même moment et rien ne peut être conçu hors de Dieu (c’est d’ailleurs pourquoi, un peu plus loin Spinoza affirme que Dieu est « cause immanente » de toutes choses et non « cause transitive » (E1P18).
Arrivé à ce point, plusieurs pistes interprétatives peuvent s’ouvrir.
On peut tout simplement dire : il y a une réalité, une réalité unique et cette réalité unique est éternelle et infinie. On pose ainsi l’équation Dieu = réalité.
1. Qu’il y ait une réalité, nous le savons immédiatement, par une sorte de connaissance intuitive. Le simple fait de penser me fait éprouver cette réalité de la pensée. Mais rien ne me permet d’affirmer que cette pensée qui s’éprouve elle-même pensante est limitée, qu’elle serait un moi individuel. Ça, c’est Descartes qui passe du ego cogito tout de suite à la chose pensante que je suis.
2. Au contraire, le premier de la pensée quand elle se détourne des connaissances du premier genre, des connaissances par ouï-dire et par imagination est justement de percevoir l’infini de la réalité. Spinoza dans le TRE a bien montré que l’infini est la première idée rationnelle qui puisse se présenter à nous. En effet, nos langues, qui sont engluées dans le monde de l’imagination et des connaissances inadéquates du premier genre, présentent l’infini négativement : l’infini serait du non-fini. Nous irions à l’idée d’infini faute d’avoir trouvé une limite. On trouve l’interdit aristotélicien sur « l’infini en acte » : l’infini ne serait qu’en puissance, comme quand on dit que l’ensemble des nombres entiers naturels est infini parce que, quel que soit m aussi grand qu’on le veut on peut toujours trouver un n, tel que n>m en posant n=m+1 ! Mais précisément réfute cette fausse manière de penser l’infini. L’infini n’est pas en puissance, il est en acte et se donne d’emblée à l’esprit qui est prêt à l’accueillir, l’esprit qui s’est réformé comme le propose le TRE. Le fini – c’est-à-dire les choses finies que nous pouvons concevoir, ne se peuvent concevoir qu’à partir de l’infini. Le fini est la négation de l’infini et non le contraire. Par exemple pour concevoir un cercle il faut délimiter le cercle de ce qui n’est pas lui. Le cercle est déterminé : tous les points équidistants du centre et il est donc un mode déterminé de la privation d’étendue : le cercle n’est pas infini : il s’arrête aux point situés à distance r du centre O et pas plus loin. La finitude, c’est cela, une privation ou une négation. C’est bien parce que toute détermination est négation (ce que d’ailleurs cette fois on peut entendre dans le mot lui-même : déterminer, c’est poser un terme, marquer une limite. De tout cela découle que l’infini qu’on pourrait aussi appeler absolu est au commencement. Il n’a pas être démontré par des raisonnements, c’est-à-dire par des médiations, il est ce qui se saisit d’emblée quand l’esprit se concentre sur la réalité qui est donnée dans la pensée.
3. Entendons-nous : il peut sembler que la pensée pense d’emblée des objets : elle perçoit des choses extérieures, elle imagine ces choses quand elles ne sont pas présentes, elle se fait des représentations toujours inadéquates de ce que le sujet entend. Il semble que ce qui est donné immédiatement ce sont ces cogitationes, comme on dirait en langage cartésien. Mais si on a lu le TRE, on braque son regard ailleurs : on ne s’occupe plus en premier lieu des objets de ces pensées, c’est-à-dire de leur réalité objectale, du rapport entre la pensée et la chose dont elle est la pensée mais de la manière même dont l’esprit forme ces pensées, on braque le projecteur sur « le processus de production des pensées ». Et c’est de cette manière que l’on peut percevoir au tout premier plan, donnée dans le plein jour spirituel, cette idée d’infini ou encore d’absolu.
4. Infini et éternel vont évidemment de soi. L’être, ou la réalité, ou Dieu, est éternel. Comment pourrait-il en être autrement ? « Par éternité, dit Spinoza, j’entends l’existence elle-même. » (E1D8) Il ne faut pas entendre par éternité une durée illimitée, mais le caractère de ce dont ni l’existence ni l’essence ne dépendent du temps et de la durée. Pour prendre un exemple simple, que 3x3 fassent 9, cela ne dépend ni du temps ni de la durée, c’est une vérité éternelle. Que la réalité soit éternelle, cela découle de la définition même de la réalité. Les choses finies existantes sont durables, plus ou moins, mais le principe d’existence de toute chose n’a rien à voir avec la durée ni le temps.
La réalité-Dieu est une : cela découle logiquement de son caractère éternel et infini. Comprenons bien ce dont il s’agit. Nous avons l’habitude d’entendre par réel ce qui se touche, ce qui se voit, bref la réalité matérielle sensible. Mais ce faisant nous ne percevons pas la réalité elle-même mais seulement l’un de ses attributs, que Spinoza, à la suite de Descartes, nomme étendue. L’essence de cette réalité, c’est-à-dire peut être saisie comme étendue mais aussi comme pensée. Il faut dire un mot ici de ce que Spinoza entend par attribut, car ce n’est pas toujours facile à comprendre. Dans une lettre à Simon de Vries (lettre IX), Spinoza précise
« Par substance, j’entends ce qui est en soi et est conçu par soi ; c’est-à-dire ce dont le concept n’implique pas le concept d’une autre chose. C’est la même chose que j’entends par attribut, à cela près que ce terme s’emploie du point de vue de l’entendement qui attribue à la substance telle nature déterminée. »
Bref attribut et substance, c’est la même chose, mais la substance s'exprime par des attributs. Plus une substance existe et plus elle a d’attributs et une substance infinie aura donc une infinité d’attributs. De cette infinité d’attributs que doit posséder une substance infinie, Spinoza déduit d’ailleurs qu’il ne peut y avoir qu’une seule substance donc que Dieu est un.
Où en sommes-nous ? Nous savons qu’existe une substance et une seule et que cette substance peut s’appeler Dieu, et que nous connaissons, nous humains, soit comme pensée soit comme étendue. Mais pensée et étendue sont la même chose. L’une ne procède pas de l’autre, l’une ne vient pas déterminer l’autre. Quand vous contemplez l’infinité de l’espace, vous saisissez quelque chose de l’essence de Dieu, ce qui ne veut pourtant pas dire que Dieu est et n’est que matière. Mais il est aussi, cela fait partie de son essence matière, étendue, infinie et éternelle.
Cette substance va s’exprimer dans des modes infinis et dans des modes finis. Toutes les choses qui peuplent le monde que nous connaissons sont des modes finis de la substance infinies. Quand on dit les choses il faut préciser les êtres vivants, les choses inertes, mais aussi les pensées, les nombres, les objets mathématiques, bref tout ce qui est quel que soit le mode d’être (car les nombres sont mais pas de la même manière que vous et moi). Tous des modes finis procèdent de l’Être éternel & infini selon les lois propres de la nature divine. Dieu agit librement, dit Spinoza, mais agir librement, c’est agir selon les lois de sa propre nature – il en va de même de la liberté humaine : l’homme n’est libre que lorsqu’il est actif, c’est-à-dire que ses actions découlent des lois de sa propre nature et non de l’action sur lui des choses extérieures (comme dans les passions).
Il faut ici souligner plusieurs points importants qui découlent logiquement de la construction spinoziste :
1. Tout ce qui advient dans la nature procède des lois mêmes de la nature, des lois et jamais des caprices : il y a donc un déterminisme global qui régit la production des effets à partir de causes déterminées. Il n’y a nulle place pour les miracles ! et la volonté de Dieu est qualifiée « d’asile de l’ignorance ».
2. Il n’y a pas de finalité dans la Nature, pas de providence qui règle le cours des choses en vue d’une fin dont seul Dieu possèderait le secret. L’appendice de la partie I de l’Éthique montre que cette croyance dans l’existence d’une finalité naturelle est la matrice de toutes les superstitions et l’on trouve ensuite dans cet appendice une toute généalogie des religions décrites comme un monde à l’envers, un monde renversé cul-par-dessus-tête, dans des termes qui anticipent la définition de l’idéologie chez Marx.
3. L’homme est une chose naturelle, il fait partie de la nature et en suit le cours. Il n’est donc pas « un empire dans un empire ». La liberté conçue comme libre-arbitre est une illusion et de cette illusion originaire que naissent tous les préjugés comme le préjugé finaliste. En même temps, le problème si compliqué de l’âme et du corps tel que de Descartes l’avait posé trouve ici une solution très simple : l’âme ou l’esprit est l’idée du corps et donc l’âme et le corps sont la même chose connue tantôt sous l’attribut de la pensée, tantôt sous celui de l’étendue.
4. L’esprit est une chose aussi naturelle que le corps humain. Les sentiments sont des « affections du corps » qui modifient sa puissance d’agir, et en même temps, les idées de ces affections. Autrement les sentiments sont des choses se produisent dans le corps et qui, nécessairement, ont une idée qui leur correspond dans l’esprit, puisque l’esprit étant l’idée du corps comprend les idées des affections du corps. Affection et idée de cette affection, c’est une seule et même chose, c’est « en même temps » dit Spinoza. À cette définition des sentiments on peut appliquer la classification des états actifs et passifs. Les affections dont nous sommes les causes adéquates (c’est-à-dire celles qui découlent de notre nature) sont des actions et celles dont nous ne sommes pas les causes adéquates (c’est-à-dire celles qui découlent de notre rapport aux choses extérieures) sont des passions. On voit donc que la vie sentimentale n’est pas nécessairement vécue sur le mode passionnel : nous pouvons être nous-mêmes la cause adéquate de nos sentiments qui peuvent découler de notre propre nature et non de l’action sur nous de causes étrangères. Point capital : à ceux qui opposent le monde humain au monde naturel, la liberté humaine à la nécessité naturelle, les artifices humains aux choses qui naissent naturellement, Spinoza répond sans ambiguïté : tout ce qui est humain est aussi naturel que toutes les autres choses naturelles. La morale et les institutions politiques ne sont pas des artifices « contre nature » mais ne peuvent procéder que des lois naturelles et rien ne peut s’établir qui soit contre nature. Donc, l’impuissance et l’inconstance humaine ont leur cause dans la nature et non dans quelque vice de la nature humaine sur laquelle il faudrait geindre. Suit une critique virulente des « moralistes », lesquels, le plus souvent, se contentent de la détestation des vices de l’esprit : « qui sait avec le plus éloquence ou de subtilité accabler l’impuissance de l’esprit humain passe pour divin. » Au contraire Spinoza conseille au Sage d’exalter à chaque fois qu’il en a l’occasion la puissance de l’homme. Spinoza constate que « le très illustre Descartes », en dépit de sa théorie de la libre volonté, a cherché à expliquer les passions de l’âme (les « sentiments humains ») par leurs premières causes et, en même temps, il a voulu montrer comment la volonté peut avoir un empire absolu sur les sentiments. Mais cette tentative a échoué. Il faut montrer comment les vices sont eux-mêmes des produits nécessaires de la Nature. Il faut donc traiter des vices et de la futilité des hommes « selon la méthode géométrique », « par le raisonnement rigoureux », comme s’il était question « de lignes, de plans ou de corps ». Tout cela conduit à une psychologie rationnelle qui a pour fonction de nous permettre de mieux ordonner nos affects en vue de la vie bonne.
Dieu est une substance éternelle et infinie et en tant que substance, il est une chose dont le concept n’a pas besoin d’autres concepts pour être formé. Alors que peut donc être une chose dont le concept n’a pas besoin d’autres concepts pour être formé. Ce ne peut pas être un « étant » particulier, le chien, le chat, la Terre, le fer, l’eau, l’air. Rien de tout cela. Ce qui n’est pas besoin d’autre concept pour être formé, c’est tout simplement ce qu’on désigne par « ce qui est ». Les philosophes grecs, Parménide par exemple, parlaient de « l’Être » et de l’Être, Parménide disait qu’on ne peut en dire qu’une chose : « l’Être est, le non-être n’est pas ». Pour essayer de percevoir par la pensée ce que dit exactement Spinoza, on devrait aussi remonter à la tradition biblique – il ne faut jamais oublier que Spinoza est juif, hérétique certes, mais juif et qu’il avait entrepris des études pour devenir rabbin. Quand Moïse demande à Dieu comment il doit le désigner quand il parlera à son peuple, Dieu répond (dans la traduction grecque des Septantes), « egô eimi ho ôn », ce que la traduction latine (la Vulgate) rend par « egosum qui sum », « moi, je suis qui je suis » (Exode, 3). Et Dieu ajoute : « Voici ce que tu répondras aux Israélites : celui qui se nomme Je suis m’envoie vers vous ». Dieu se nomme « Je suis ». Dieu n’a pas de visage, pas d’autre nom que « Je suis », il est éternel et infini et il se conçoit par soi et sans qu’on ait besoin du concept d’une autre chose puisque ce serait alors nier son éternité et son infinité. On pourrait d’ailleurs discuter à perte de vue sur ce passage fameux. La traduction dans la Vulgate aplatit l’hébreu disent les commentateurs.
La substance éternelle et infinie a donc tous les attributs du Dieu de la Bible, de celui des chrétiens ou des musulmans. Le Dieu de Spinoza s’en distingue cependant par plusieurs traits.
1. Le Dieu de Spinoza n’est pas transcendant mais immanent. Il n’est pas antérieur à la création, il est la création elle-même et la substance infinie s’exprime dans ses attributs et dans tous ses modes.
2. Il n’est pas un Dieu personnel. Dieu chez Spinoza n’a ni sentiment ni volonté. Ce que nous appelons « volonté de Dieu », ce n’est rien d’autre que l’entendement divin et dans l’entendement divin il n’y a que les lois de la nature, les lois de sa propre nature et les lois de la nature de chaque mode fini. De là Spinoza va polémiquer incessamment contre tous ceux qui ont une conception anthropomorphique de Dieu.
Cependant, il ne faudrait pas comprendre la position de Spinoza de manière trop schématique. Souvent Spinoza soutient que les enseignements de l’Écriture restent valables. Ils parlent de Dieu par images et usent d’un vocabulaire anthropomorphique car leur objectif n’est pas de faire de la philosophie mais d’enseigner l’obéissance à la loi pour maintenir la concorde dans le peuple.
L’objectif de Spinoza doit être mis en relation avec le contexte de la composition de l’Éthique. Spinoza a des réunions et des discussions régulières avec divers groupes chrétiens que l’on pourrait appeler libéraux car non seulement ils ont rompu avec l’Église catholique mais il n’acceptent pas non plus l’orthodoxie luthérienne ou calviniste. Il a particulièrement fréquenté les cercles des « Collégiants » à Rinjsburg et c’est d’ailleurs à leur intention qu’il rédige le « Court traité ». Ce que Spinoza veut montrer, c’est que celui qui suit la raison (c’est-à-dire celui qui peut emprunter les chemins de l’Éthique) et le chrétien non superstitieux qui comprend l’enseignement de l’Évangile doivent se retrouver.
Alexandre Matheron dans son beau livre Le Christ et le salut des ignorants chez Spinoza montre en détail ces rapports étroits entre Spinoza et le christianisme. Spinoza accepte globalement la véracité des Évangiles. Certes, il ne peut admettre l’Incarnation : Dieu ne peut pas plus devenir un homme que le cercle peut devenir carré ! Comme n’importe quel autre individu, le Christ est Dieu affecté d’une modification finie. Mais pour Spinoza, il n’est pas clair que les Évangélistes aient vraiment enseigné la doctrine de l’incarnation – sauf dans ce début obscur de Jean : « et le Verbe s’est fait Chair ». De même la résurrection lui semble inadmissible : non pas que les cadavres ne puissent pas revivre – nul ne sait ce que peut le Corps ! – mais parce que l’ascension est absurde car le Christ ne peut pas aller à droite de Dieu car Dieu n’a ni droite ni gauche … Bref, on ne peut admettre la Résurrection qu’allégoriquement, sans pour autant penser que les Évangélistes se trompent totalement : leur pieuse imagination leur a vraiment fait voir le Christ montant au Ciel. Il y a ensuite, dans le TTP, toute une lecture serrée qui permet de considérer le noyau rationnel de l’enseignement de l’Évangile, une lecture qui fait du Christ le plus grand des philosophes.
Qu’est-ce que cherche Spinoza dans cette lecture des textes fondateurs du christianisme ? Tout simplement à montrer que le Christ était spinoziste !
1. Dieu existe nécessairement et la connaissance de l’idée adéquate de Dieu, celle que l’on a acquise dans la partie I de l’Éthique, est la voie du salut. La connaissance adéquate de Dieu est la même chose que la connaissance de sa nature, c’est-à-dire la connaissance de la nature !
2. On a vu que la substance infinie est absolument infinie et qu’elle est l’unique substance et par conséquent, aucun bonheur n’est supérieur à celui que nous donne la connaissance de Dieu.
3. L’immanentisme de Spinoza établit que Dieu est présent partout. Et donc la connaissance de Dieu est un rapport de présence immédiate.
4. Plus nous connaissons Dieu et plus nous sommes joyeux et donc sous cet angle Dieu nous rend ce que nous lui donnons…
On pourrait continuer ainsi. Certes, le christianisme spinoziste n’est sans doute pas conforme au christianisme institué. Mais faire de Spinoza le grand adversaire du christianisme est un contresens complet. Il est l’adversaire du cléricalisme – il est l’un des premiers philosophes à défendre l’idée d’une séparation totale de l’État et des religions – et l’adversaire déclaré de toutes les formes de superstitions, rituels et sacrements inclus. Mais il rend au christianisme sa place exceptionnelle dans l’histoire, cette place qui amènera Hegel à dire que le christianisme est la religion vraie.
Il faudrait aller plus loin et détailler ce qu’est l’amour intellectuel de Dieu et en quoi il s’identifie à la béatitude, ou encore expliciter ce que veut dire Spinoza quand il soutient que « nous sentons et faisons l’expérience que nous sommes éternels »…
Je voudrais seulement pointer deux sujets de réflexion. Le premier concerne le rapport d’Einstein à la pensée de Spinoza. J’y ai consacré jadis un bref article. J’ai également traduit un article Gustavo Cevolani sur le sujet. Je me contente ici de citer Cevolani :
Je crois que les principaux fils qui lient Einstein à l’expérience intellectuelle de Spinoza sont au nombre de trois. En premier lieu et au niveau général, le sentiment qu’Einstein appelle "religiosité cosmique" ; lié à celui-ci, la conviction "métaphysique" d’une causalité physique complète ; et enfin, à un niveau biographique même, l’appartenance à cette "communauté des hérétiques" qu’Einstein entendait partager avec le philosophe d’Amsterdam.
Retenons cette religiosité cosmique, c’est-à-dire ce moment où par la connaissance je sens que je suis en plein accord avec l’être lui-même. Je crois qu’on peut suivre tout cela pas à pas dans la partie 5 de l’Éthique.
Le second point concerne la religion de Spinoza. Pour conclure, il faudrait dire quelques mots de la religion de Spinoza. Pourquoi, si elle n’est pas un athéisme, la pensée de Spinoza est-elle insupportable pour les pouvoirs religieux de l’époque (tous les pouvoirs religieux, à commencer par celui qui l’a condamné et l’exclu de sa communauté) ? Spinoza ne dit pas « Dieu n’existe pas ». Au contraire, il ne cesse d’affirmer que « Dieu existe ». Mais Spinoza ne croit pas en Dieu. Il n’y croit pas parce que Dieu n’est pas une affaire de croyance. C’est parce que Dieu existe que Spinoza n’y croit pas, pas plus qu’il n’y aurait de sens à dire « je crois que 2+2 = 4 », pour la simple raison que 2+2=4 et que ce n’est pas une question de croyance. C’est l’évidence de Dieu que la raison peut saisir et comprendre comme cause, d’un Dieu qui n’est pas caché mais présent en toute chose, que l’autorité théologique ne peut supporter.
La philosophie de Spinoza peut être assez largement acceptée par un chrétien hérétique, disons par exemple un judéo-chrétien, pré-paulinien qui ne croit pas que le Christ soit Dieu. Cette interprétation pourrait d’une part expliquer pourquoi l’Éthique mais aussi la plupart des œuvres de Spinoza sont parcourue par l’opposition entre la fausse religion, superstitieuse, et la vraie religion qui se résume par justice et charité.
Enfin nous sommes trop habitués à une religion chrétienne instituée, notamment par Augustin, et qui tient en piètre estime la puissance de la raison humaine (à part quand il s’agit de montrer que les ennemis de l’Église sont des superstitieux, une spécialité de ce grand pourfendeur d’hérétiques qu’était l’évêque d’Hippone…). Mais il y a aussi, au-delà des gnostiques, toute une tradition chrétienne qui fait de la raison le guide de la vraie connaissance de Dieu.
- Clément d’Alexandrie (140-220 ?) défend un christianisme platonicien : la connaissance de Dieu n’est accessible que par la philosophie (morale, physique) et la Raison et le Christ sont identiques. La vraie philosophie n'est autre que la connaissance de la Raison révélée par Dieu aux hommes dans l'Écriture sainte et dans le Christ. Le vrai sage, c'est le chrétien, lorsqu'il réalise la perfection de la vie morale et la perfection de la connaissance théologique, en un mot, pour reprendre un terme cher à Clément, lorsqu'il devient un vrai « gnostique ». Le vrai gnostique est donc un exégète, celui qui a l'intelligence spirituelle de l'Écriture sainte.
- On trouvera aussi une belle apologie de la raison dans le sermon « De la perfection de l’âme » de Maître Eckhart : « qui veut arriver à la plus haute perfection de son être et à la contemplation de Dieu, du bien suprême, il faut qu’il ait une connaissance de lui-même, comme de ce qui est au-dessus de lui, jusqu’au fond. » Et contre l’enseignement traditionnel, mais très proche de Spinoza, Maître Eckhart place la raison au-dessus de la volonté.
Il faudrait sans doute aussi chercher quels sont les rapports que la pensée de Spinoza entretient avec la philosophie juive médiévale (je pense à Gersonide) ou encore la tradition de l’averroïsme latin. Tel qu’il a été condamné en 1277 par l’évêque Tempier, ce courant se caractérise par les points suivants :
1°) L'idée que Dieu agit toujours selon une nécessité interne de son essence, reprise d'Avicenne et en contradiction avec les dogmes de la Création, de la Providence et de la liberté humaine.
2°) L'éternité des seules espèces au détriment des individus périssables.
3°) L'union de l'âme avec l'Intellect, agent divin, et son retour en lui après la mort.
Je signale parmi les averroïstes latins Jean de Jandun qui fut collègue de Marsile de Padoue, lui aussi un averroïste plus ou moins déguisés et dont les idées sur les rapports entre religion et État se retrouvent largement dans le TTP.
Sur tous ces points, je ne suis pas assez savant pour faire autre chose que de dessiner quelques pistes à suivre. En tout cas, le Spinoza a destination de l’extrême gauche ou le Spinoza pour libres penseurs, escamotant a préoccupation proprement religieuse me semble devoir être sérieusement rectifié.