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Les livres de l'Université Populaire d'Évreux


 ET DEMAIN AU CINEMA ? LE CINEMA DE SCIENCE FICTION.

 

Jean Grémillon, cinéaste français (Gueule d'amour, L'Étrange Monsieur Victor, RemorquesLe ciel est à vous) disait des débuts du cinéma :

« Les premières projections d’images en mouvement ont agrandi le monde. Elles ont ouvert de nouveaux champs d’expériences du sensible… »

Agrandir le monde, ouvrir de nouveaux champs d’expériences du sensible, cela semble définir le cinéma de science fiction. Que nous donne donc à voir, à éprouver un film de science fiction?

A partir de quelques extraits de film de science-fiction pris dans l’histoire du cinéma, il s’agit d’essayer d’en analyser les formes, contenus, discours et impensés pour tenter de répondre à quelques questions posées par ce cinéma. 

 
LA SCIENCE FICTION

La science fiction (S.F.) nait en Europe au XIXe siècle. Ce genre littéraire est lié à l’industrialisation, aux progrès de la science et aux bouleversements dans le travail, l’habitat et les rapports aux espaces naturels et urbains qu’ils provoquent.

Certains vont dépasser ce bouleversement, l’extrapoler d’abord avec optimisme, naïveté, c’est la SF utopique, apolitique et idéaliste (Wells, Verne). Le regard critique viendra plus tard (Orwell). La SF décrit donc :

  - un ailleurs lié au progrès scientifique (rationalisme scientifique contre magie du fantastique).

  - un ailleurs lié aux extraterrestres. (ou à ses déclinaisons animales, robotiques, informatiques)

  - un ailleurs lié à l’avenir de l’homme (à un devenir contre l’ancien temps de la fantasy).

  - une histoire (fiction contre l’exposé d’une situation : l’utopie)

 

L’identité de la science fiction apparait en 1926 avec la création du magazine Amazing stories et la création d’un terme : « scientifiction ».


 
 
 
LE CINEMA

Le cinéma est aussi un fils de ce capitalisme industriel de la fin du XIXe siècle. Il nait en 1895, pour les Français. Les frères Lumière, Edison sont des industriels, ingénieurs, scientifiques, des inventeurs.

Comment le cinéma naissant va-t-il rencontrer la toute jeune SF ? Comment va-t-il représenter le futur ?

Que va-t-il montrer ? Le contenu.

Avec quels moyens ? La forme.

 
LE VOYAGE DANS LA LUNE
Georges Méliès, 1902, 21minutes. Extrait 1

Méliès est un homme de scène, il est illusionniste, il voit immédiatement l’intérêt du cinéma (d’abord pour des intermèdes dans son théâtre d’illusions lors des changements de décors, d’accessoires).

La forme :

- la durée : une rupture par rapport aux films très courts de l’époque, 21 minutes, portées par une histoire inspirée d’un livre, c’est un long métrage !

- les trucages (on ne dit pas encore effets spéciaux) : l’illusionniste perçoit immédiatement les potentialités de la technique (surimpressions multiples, fondus enchaînés pour signaler les ellipses, arrêt de la caméra et substitution du sujet, effets pyrotechniques de scènes) pour « agrandir le monde, ouvrir de nouveaux champs d’expérience du sensible ».

- la couleur (rapportée, couleur par couleur, image par image, sur la pellicule).

Malgré une forme archaïque (la frontalité du théâtre, le muet), Méliès a inventé le futur du cinéma de SF, le cinéma du futur : des longs métrages en couleurs truffés d’effets spéciaux.

 
Le contenu :

 Le film renseigne sur la société qui l’a produit.

On voit une société confiante dans son avenir, dans le progrès des sciences : les progrès de sa technologie (le canon) permettront d’atteindre la Lune.

On voit une puissance industrielle (la fabrication du canon), coloniale (le départ de l’obus ressemble aux départs des expéditions scientifiques maritimes de découvertes scientifiques, mais aussi de recherche de ressources naturelles à exploiter).

Nous voyons son rapport à l’autre : le Sélénite est un « sauvage » qui se traîne sur les fesses, qui a la peau sur les os (ici, c’est plutôt l’inverse). Les contacts sont immédiatement agressifs et la civilisation (le parapluie) anéantit facilement le Sélénite. Son organisation est tribale (c’est l’imagerie de Tintin au Congo).

 

Sans le savoir, le film nous montre toute l’arrogance des nations industrielles et coloniales européennes de l’époque dont l’avenir (expansionniste) est déjà tracé : après l’Afrique, la Lune !

 

Reste l’incroyable poésie de ce film.

 
LA FEMME SUR LA LUNE
Fritz Lang, 1929, Allemagne

Un des premiers exemples de S.F. scientifique, qui fonde sa crédibilité sur la collaboration de scientifiques au scénario et à l’élaboration des séquences représentant le futur ou l’ailleurs.

Fritz Lang s’attache la collaboration d’Hermann Oberth, astrophysicien, physicien, qui met au point les premières fusées allemandes. Quelques jeunes scientifiques, brillants et enthousiastes, se regroupent autour de lui, l’un d’eux se nomme Werner Von Braun. Extrait 2.

 

Nous avons ici une représentation du futur : le voyage Terre-Lune.

 Cela passe par l’immense, le monumental.  Ce n’est pas une histoire individuelle, mais l’affaire de l’humanité. Cela passe par la démesure des travellings, des plans de grand-ensemble permettent de passer de l’individuel au général. Les hommes ne sont que des fourmis.

Le partage de l’aventure par l’humanité passe par la radio : plans visualisant les ondes et l’humanité à l’écoute.

Il y a création d’un sublime qui dépasse l’individu : on passe d’une unité de mesure humaine à une dimension inhumaine : l’appréhension du monde à une autre échelle, un point de vue extrahumain que l’on peut qualifier diversement : objectif, divin, totalitaire… ?

 

On est frappé par la similitude avec la scénographie des départs de missions Apollo en 1969 et dans les années 70. La tour, l’aire de lancement, la foule, la médiatisation (la télévision remplaçant la radiodiffusion), la dramatisation. Lang invente ici le compte à rebours pour dramatiser le départ.

 

C’est donc à l’invention du déroulement d’une procédure technique du futur et de sa scénographie médiatique que nous assistons là.

Werner von Braun fera reproduire quasiment à l’identique la mise en scène de Lang et d’Oberth pour les programmes Gemini, Apollo et Shuttle.


 
HOLLYWOOD, ANNEES 30

A l’intérieur du genre horror movie des studios américains, Universal produit deux films de J. Whale : Frankenstein, 1931, et L’Homme invisible, 1933, mais le genre SF n’existe pas encore réellement. Ici les scénarios insistent principalement les ravages des deux monstres. Mais ce qui va marquer la mémoire collective, ce sont surtout les trucages, les futurs effets spéciaux. Ce qui n’est pas encore reconnu comme de la science fiction invente pourtant de nouvelles formes de représentation cinématographiques. Invente le futur du cinéma.

Puis, c’est dans le serial -film découpé en plusieurs épisodes- que la SF américaine se développe, avec Flash Gordon, Buck Rogers et d’autres… Ce sont des sortes de western où la conquête de nouvelles planètes remplace la conquête de l’Ouest. Ces films tournés rapidement sans moyens installent la SF comme genre pauvre et marginal.

 
 
 
HOLLYWOOD, ANNEES 50
 

La S.F., comme genre de cinéma à part entière, s’affirme aux Etats-Unis dans les années 50, avec un nouveau public, adolescent, dans les drive-in. Cela reste un mauvais genre, produit par de petites compagnies, rarement par les majors, un cinéma pauvre qui sera longtemps méprisé par la critique.

Des amateurs peuvent s’ériger en cinéastes, en producteurs. C’est le cas d’Ed. Wood, avec Plan Nine from Outer space, 1958 rendu célèbre par Tim Burton en 1994 avec Ed. Wood, « le plus mauvais réalisateur de toute l’Histoire ».

 

La S.F. se décline en sous genres :

 

- Films de guerre : films d’agressions venues de l’espace : La guerre des mondes, B. Haskin, 1953 où s’affrontent des hommes (américains) qui n’hésitent à tirer les premiers, et à utiliser la bombe atomique (souvent avec insuccès). Ces films sont révélateurs de la hantise et de l’état d’esprit de l’époque.

En retour, les extraterrestres font disparaitre les militaires, les civils… tout ce qui bouge avec des rayons lumineux (et sonores) qui provoquent un effet Méliès : les corps se volatilisent dans un halo surbrillant, en laissant un peu de poussière dans les productions les plus riches. Autre hantise américaine : l’ « autre » aurait une technologie supérieure.

 

Un autre thème se développe aussi dans ces films d’invasion : souvent l’invasion n’est vue, connue que des enfants, des adolescents. Eux seuls peuvent croire sans préjugé à l’existence de ce qui se donne dans un caractère improbable. Eux seuls ont cette intelligence qui n’est pas encore voilée par la rationalité ou la méfiance et la peur. Cette lignée de films, souvent cadrés bas, à hauteur des enfants donnera plus tard E.T., l’extraterrestre, S. Spielberg, 1982 dont le réalisateur n’a jamais caché ses affinités avec le public originel de la S.F. américaine, les adolescents.

 

 
- Films de monstres :

- Ce sont des monstres terrestres. Tarentula, Them…  Des radiations atomiques on provoqué des gigantismes variés : fourmis, tarentules, crabes, moussaka, etc.

- Le monstre peut être extraterrestre. Il a alors fréquemment un corps malingre, une tête globuleuse avec de gros yeux et divers appendices, le tout joué par un acteur qui agite les bras dans une combinaison en latex. C’est le BEM, le bug eyed monster, le monstre aux yeux pédiculés, qui a une forte tendance à enlever la BBB, la big breasted baby.

- Apparaissent aussi des représentations assez gore d’espèces de magmas physiologiques.

Une telle représentation n'est pas gratuite, parce que la chose dont il est question dans La chose d’un autre monde,  C.Niby, 1951, n'a pas de forme et peut les prendre toutes. Autrement dit, toutes les scènes gore ont un sens esthétique très précis : elles exhibent ce qui résiste à toute image, ce qui répugne à toute représentation, car elles montrent le visage de ce qui précisément n'en a pas. La chose, ici, se donne à la perception sensible, mais reste indéterminé. La chose apparaît au sens littéral du terme : elle existe mais ne peut être déterminée. Le mot « chose » est utilisé pour nommer ce qui est indéterminable.

La S.F. pose la question de la représentation (rendre présent) de l’inconnu (ce qui est absent).

 
 

- Films de propagande : La S.F. américaine des années 50 serait une expression des questions politiques qui agitent les Etats-Unis de cette époque.

L’autre dans ces films serait une métaphore du communiste et la civilisation extraterrestre une image de l’URSS. L’autre contre lequel il faut lutter, ce serait le Soviétique. Tel serait l’impensé du genre.

C’est que le sanctuaire, le continent américain est en danger : les soviétiques ont une fusée (c’est le temps de Spoutnik) et la bombe atomique. On connait la violence des réactions américaines quand ils sont agressés dans ce sanctuaire : Pearl Harbour, 11 septembre… Le Japonais avait lui aussi été traité comme monstre venu d’ailleurs, dans des films de guerre et de propagande.

Ici, pas de réflexion métaphysique. Ce qui est montré, c’est la supériorité de l'homme sur toutes les autres formes de vie intelligente, et particulièrement de l'homme blanc américain qui constitue donc le prototype exemplaire d'une humanité accomplie.

 

Le film de S-F des années cinquante renferme aussi souvent une leçon de morale avec laquelle il se conclut. La voix off, le héros garant de l’ordre ou l’autorité l’énoncent la leçon à la fin du film. Cette morale est  invariablement conservatrice et peut se résumer ainsi :

« Après l'affrontement des forces en présence où la supériorité du monstre n'est que provisoire et découle de sa nature particulière et de l’effet de surprise, le monde et ses valeurs normatives reprennent l'avantage. Mais restons vigilants : surveillons le ciel, méfions-nous de l'étranger, ne jouons pas avec l'atome, ne réveillons pas les morts, etc. »

 

 

Les space-opéras : Planète interdite, F.M. Wilcox, 1956. Extrait 3.

 

A l’opposé de la S.F. scientifique (cf. La femme sur la Lune), le space opéra est volontairement indifférent à tout ce que la science a pu nous apprendre des systèmes planétaires et des conditions d’un voyage spatial.

Le space opéra repose sur les décors et les trucages, les sons étranges et les musiques électroniques. A un monde inédit correspondrait des sons inédits. Nous sommes dans l’esprit du serial, tout fait toc, propre et studio. On a inventé, c’est chouette, une technologie qui ne prend pas la poussière.

A noter que l'extraterrestre parle systématiquement Anglais, ou Français en VF (même s'il se justifie, insistant sur le fait qu'il connaît toutes les langues du monde et ne parle anglais que pour être compris par son interlocuteur). De rares films essaient de penser autrement le langage extraterrestre : c'est alors le langage universel, celui des mathématiques ou de la musique, (Rencontres du troisième type, Mission to Mars, Contact).

Là aussi, le film permet une analyse de la société qui l’a émis, sur la manière dont elle se représente, sur la place qu’elle donne aux femmes par exemple, toujours jeunes et jolies, et qui portent des vêtements courts.

 

LA S.F. JAPONAISE, ANNEES  60  ET 70.

 

C’est une S.F. de monstres immenses aux pouvoirs incroyables, Godzilla, une sorte de tyrannosaure, Mothra, une sympathique mite géante, une langouste : Ebirah, la tortue Gamera ... Ces monstres sortent des eaux, des profondeurs après des expériences ou des explosions atomiques.

Ces films ne se contente pas de poser la question de savoir si le scientifique est responsable des utilisations qu'on fait de ses découvertes, il y répond, et affirmativement. Ils traitent véritablement la question de l'arme atomique et affirment que le métier de savant ne saurait faire abstraction de la dimension morale et politique des applications de la recherche.

 
 

LA S.F. « NOUVELLE VAGUE ».

 

La préoccupation S-F, au fond, correspond assez bien à l'idée sur laquelle repose la nouvelle vague, selon laquelle il faut en finir avec « le cinéma de papa » et inventer de nouvelles histoires pour un nouveau type de récit. La S-F est un excellent prétexte pour déstructurer la narration. Donc nul besoin de gadgets et d'artifices pour présenter un autre monde, un ailleurs : créer un monde de S-F est le privilège absolu du récit, c’est-à-dire de la forme, sans qu'il faille en appeler à de quelconques effets spéciaux. De là un point commun à beaucoup de ces films, à savoir que la S-F est une façon d’interroger le récit cinématographique et pas simplement ce qu'on met dedans.

La jetée, C. Marker, 1962, Fahrenheit 451, F. Truffaut, 1966 et Alphaville en sont des illustrations. La jetée est un montage de photogrammes fixes avec une voix-off : il ya un seul mouvement dans le film, un battement de cil.

 
 

Alphaville, une étrange aventure de Lemmy Caution, J.L. Godard, 1965. Extrait 4.

 
 

Le film est un hommage au film noir,  il montre une banlieue de Paris toute neuve, la Défense, avec le périphérique, la nuit et des gratte-ciel illuminés qui sont déjà la présence du futur dans le présent. Il faut toutefois encore étrangéiser ce présent.

Dans Alphaville, ce sont les mots qui font du présent un futur, son temps : « Il était 24 h 17, heure océanique, lorsque j'arrivai dans les faubourgs d'Alphaville », ses personnages : « C'était une séductrice d'ordre 3 », « Je suis programmatrice d'ordre 2 » ou encore les lieux : « les pays extérieurs, la zone d'or, l'institut de sémantique générale, le lieu de contrôle d'Alphaville appelé Alpha 60, etc. »

Ici, c’est aussi la couleur des mots : une diction mécanisée, ralentie à la lecture, avec du pleurage qui étrangéise le lieu. En même temps, cette voix par ses déglutitions, son souffle, sa physiologie est paradoxalement très humaine, nous interrogeant sur la nature de son pouvoir.  

Le film est une adaptation de 1984, de Georges Orwell, sans doute la meilleure dans l’esprit. On y retrouve la novlangue, des mots vidés de leur sens, ou vidés du dictionnaire : faute de mots pour les énoncer, les idées deviennent impensables. « Conscience ? Je ne sais pas ce que ça veut dire. » On retrouve un centre de l’oppression, ici l’ordinateur Alpha 60 et l’amour rédempteur.

 
 
 
 

Avec Alphaville, Fahrenheit 451, La jetée, nous sommes dans la dystopie, l’inverse de l’utopie. Ces films montrent de manière totalement pessimiste des sociétés qui dysfonctionnent, des systèmes politiques, sociaux qui, enfermés dans leurs logiques, ne proposent plus rien de positif, des sociétés totalitaires.

 

Nous sommes donc dans la critique sociale. La dystopie est une critique de la société parce qu’elle en montre, souvent en se déplaçant dans un futur proche, un miroir déformé, nous mettant par là même sous les yeux des traits dangereux de notre société auxquels nous pourrions ne pas être attentifs parce que nous n’en voyons pas les conséquences politiques et sociales. Cette S-F, à titre de critique, est (ou devrait être) une interrogation sur la légitimité des structures économiques, politiques, sociales de la société dans laquelle nous vivons, et non sa légitimation.

 

Reste à savoir si ce qui se donne comme critique sociale l'est véritablement. La critique peut aussi n’être qu'apparente dans certains films et peut-être sert-elle à cacher une dimension fortement conservatrice qui, au fond, ne fait que justifier l'ordre social existant. Le système des studios américains peut-il permettre la production d’une dystopie ? Le sort de Brazil, T. Gilliam, 1985, une autre interprétation du 1984 d’Orwell, semble répondre. Universal bloque la sortie aux Etats-Unis, veut imposer un remontage et surtout une autre fin. Il faudra plusieurs années pour que le film voulu par le réalisateur sorte aux Etats-Unis. Blade Runner de R. Scott, 1982, a une histoire presque similaire.

 
 

 
L’EVENEMENT DE 1968
 
2001, l’odyssée de l’espace, S. Kubrick, 1968
 
 

Il faut souligner deux moments essentiels dans la transformation de l'imagerie du film de S-F. Le premier se situe à la fin des années soixante : 2001 en est l'emblème. Il se caractérise par un développement considérable des trucages qui n'en demeurent pas moins mécaniques et optiques. Autrement dit, s'il y a un avant 2001 et un après 2001, reste que, entre ces deux époques, il n'y a qu'un changement de degré et non pas de nature. On utilise les mêmes moyens qu'avant, mais en mieux et en plus cher. 2001,  premier film de S-F prestigieux de l'histoire du cinéma, constitue une redéfinition du genre S-F, parce que ce film ouvre la voie à la S-F à gros budget qui suivra.

 

Le film est en trois époques.

- Un monolithe qui se pose sur la Terre au tout début de l’humanité, il agit sur un préhominidé (le premier personnage) qui le regarde, cela provoque une réflexion et l'invention de l'outil. Le monolithe disparaît, nous saurons plus tard qu’il se pose sur la Lune.

- Quatre millions d’années plus tard l'humanité est parvenue jusqu'à un point de développement scientifique qui lui permet de le découvrir sur la Lune. Il émet alors un signal vers Jupiter. Floyd (deuxième personnage) qui dirige les opérations envoie une mission dans la direction du signal.

- Dave (troisième personnage) va vers Jupiter (il doit affronter son ordinateur de bord devenu hostile), trouve un autre monolithe, s’en approche et bascule au-delà des étoiles.

Il y a donc une intelligence extraterrestre qui, depuis le début, c'est-à-dire depuis les préhumains sur Terre jusqu'à Jupiter en passant par la Lune, a mis en place ce dispositif et permis le développement de l'humanité jusqu'à un nouveau stade... Tout 2001 tend donc vers Jupiter et au-delà.

 

Extrait 5

 
La forme
 

Le champ-contre champ impossible entre le préhumain et le monolithe. On ne voit rien dans le monolithe. C’est l’inverse d’un écran. Il est hors de notre compréhension, nous ne pouvons appréhender le point de vue du monolithe donc pas champ contrechamp possible entre le terrestre et l’extraterrestre. Instauration d’une limite.

 

Le raccord (le passage d’un plan à un autre). « Un raccord est une reprise dans le tissu déchiré de la narration ». Quelle déchirure, quelle ellipse : quatre millions et deux mille une années ! Un record.

Il comporte des éléments qui relient les deux séquences, l’os lancé en l’air devient satellite, il s’est affranchi de la pesanteur. Il sera repris en écho par le stylo qui flotte dans le vaisseau. De la même manière, le bras du préhominidé qui fait un effort de propulsion, deviendra le bras de Floyd qui flotte dans la cabine. L’Homme, par ses outils, s’est affranchi de la pesanteur : le rêve d’Icare.

L’Homme a fait un travail d’abstraction, est allé vers le langage, vers le mathématique… un saut définitif dans le symbolique… l’humanité a basculé, la bête est niée. Utopie.

Le spectateur doit donc faire de même, faire le même effort d’abstraction pour comprendre le raccord !

La musique renforce cette perception. D’un côté des sons, puis de la musique. Et quelle musique ! Une valse viennoise, Le beau Danube bleu, unsommet de musique bourgeoise ! Là aussi quel chemin parcouru dans l’élaboration d’une société par le rustre qui lançait des os. Et quel chemin conceptuel : passer du cri de joie au langage musical.

 

Enfin le raccord surprend parce qu’il provoque une commutation. Commutation sonore, visuelle, d’échelle, technologique… Nous comprenons cette commutation car nous l’avons passée, nous sommes du bon côté. Imaginons l’effarement du préhumain qui la vivrait, Kubrick nous la fait partager quelques instants quand nous voyons ce raccord pour la première fois. Mais une fois la commutation effectuée dans notre esprit, elle est définitive : c’est ce qui est arrivé à l’humanité.

 
 Ce que cela montre
 

2001 apporte une nouveauté radicale : il présente un monde où l'on ne marche pas comme dans le nôtre, c'est-à-dire où les conditions physiques ne sont plus les mêmes. C'est en ce sens que ce film de S-F nous fait perdre totalement nos repères.

II y a quelque chose qui n'avait jamais été mis en image par la S-F cinématographique, avant 2001. Le souci réaliste de Kubrick est lié à sa volonté de filmer le quotidien. Le cinéma de S-F qui précède gomme ce qui est quotidien, d'ordinaire, pour ne retenir que les instants privilégiés, les moments dans lesquels il se passe quelque chose qui fait avancer la narration. 2001, si l'on peut dire, donne du temps au temps. Kubrick filme les gestes et mouvements qui constituent la vie quotidienne de ses personnages. Si ce quotidien est intéressant, c’est précisément parce qu'il se situe dans un entourage, dans un monde qui n'est pas le nôtre et nous paraît extraordinaire. L’hôtesse du vaisseau spatial a une démarche hésitante à cause de ses semelles en velcro. Dans la station orbitale, Floyd évoque ses problèmes de couple, de famille et de vacances scolaires. Dans le film traditionnel de S-F, il faut surtout éviter qu'un homme puisse avoir une vie analogue à celle du spectateur, mais il peut en revanche se mouvoir comme se meut le spectateur, ce qui manifestement ne gêne personne. Inversement, chez Kubrick, c'est le même homme qui habite la Terre, avec les mêmes soucis et les mêmes préoccupations. Mais c’est son environnement qui constitue la dimension science-fictive : comment marcher, manger, comment aller aux toilettes en apesanteur.

 

Une des grandes nouveautés de 2001 est que le futur, ici, n'est déterminé qu'à partir des traces qu'il a déposées dans le présent. Alors qu'avant on imaginait pouvoir construire un futur indépendamment de toute situation effective, comme si le futur pouvait se présenter en soi à la pensée et à l'imaginaire, sans référence aucune à un présent qui le pose comme son futur, Kubrick inverse le mouvement et ne cherche pas à imaginer un futur autrement qu'en rapport avec ce que la technologie de 1968 lui propose et lui permet de poser comme futur. Cela fait que, contrairement à beaucoup de films, 2001 n'est pas démodé plus de quarante après.

 
 

C'est aussi la première fois qu'apparaît dans un film de S-F, le problème de l'orientation dans l'espace: l'hôtesse marche dans un sas circulaire et se retrouve la tête en bas, la caméra continuant à occuper son précédent point de vue pour ensuite rejoindre le nouveau. (Le haut devient le bas et le bas le haut). Une telle perte de nos repères habituels, se reproduit au début de l'avant-dernière partie du film, « Mission Jupiter. 18 mois plus tard ». Dave fait son jogging à l'intérieur du vaisseau. Son trajet est circulaire, non pas horizontalement, mais verticalement, il n'y a plus de haut ni de bas, car tout varie constamment selon le point de vue changeant qu'on occupe dans l'espace et qui fait se transformer de manière incessante les repères spatiaux. S'il s'agit d'une expérience pour le spectateur qui est invité à éprouver son sens de l'orientation dans un footing en faible pesanteur artificielle.

Il s'agit de donner une image à quelque chose qu'on n'a jamais vu, en montrant des personnages et leur environnement soumis, dans leurs mouvements les plus élémentaires, à des lois qui certes ne nous sont pas étrangères, mais nous sont seulement connues d'une manière abstraite, étant compréhensibles sans être vécues par nous dans notre quotidien. C’est une extension du sensible (voir Grémillon).

 Le film de Kubrick joue sur la perte des repères dans tous les sens du terme. En accomplissant le rêve d’Icare, l’homme s’affranchit de la gravitation terrestre. Kubrick nous donne à vivre un espace qui n'est pas soumis à un champ de gravitation, sans centre : ni haut ni bas, raison pour laquelle il n'y a pas de direction. 2001, en ce sens, donne une image au vertige d'un espace infini.

Mais ce film bouscule aussi nos repères narratifs. Mettre tous les personnages-héros (le pré hominidé ensuite Floyd, puis Dave) sur le même plan sans distinction entre personnages principaux et secondaires a deux significations :

 - La première, c'est qu'il y a quelque chose qui passe de l'un à l'autre, et que c'est ce qui passe entre les trois qui est proprement le héros. Le héros, c’est le monolithe noir. Les ellipses temporelles collaborent encore à la désorientation narrative.

- La deuxième, c'est que le film ne porte pas sur l'homme, mais sur l'au-delà de l'homme. Dans 2001, l'objet véritable du film n'est pas son centre, à savoir l'homme, mais ce qu'il y a avant et ce qu'il y a après, donc son origine et son devenir,le pré homme et l'enfant-planète.

En outre, cette désorientation narrative est produite par le fait que, souvent, le film donne d'abord les effets dont il ne nous fait connaître les causes qu'ultérieurement : par exemple la raison du voyage de Floyd sur la Lune. On voit combien 2001 s'éloigne du film de S-F traditionnel des années cinquante et en prend le contre-pied. Le film de S-F des années cinquante, on l'a vu, est explicatif: l'image y est toujours accompagnée de son mode d'emploi.

Enfin, le chapitre « Jupiter et au-delà de l'infini » désoriente parce que, à partir de là, le voyage de Dave à travers l'espace prend un tour radical. Non seulement on n'arrive plus à distinguer le visage du héros secoué par les turbulences qu'il traverse, mais le contrechamp sur ce qu'il traverse perd toute figure au sens littéral du terme, de sorte qu'on sort de l'ordre de la représentation : c'est une traversée d'étoiles, de lignes et de tâches de toutes les couleurs qui se transforment tel un kaléidoscope, dans lesquelles on s'enfonce et à travers lesquelles on passe. C'est comme un long voyage vers l'informe, donc vers l'origine dont émerge toute forme, où le gazeux, le solide et le liquide s'échangent à une vitesse folle. Il y a quasiment dix minutes d'images non représentatives.

Ce qui se passe ensuite va dans le même sens. Certes nous pouvons désormais identifier ce que nous voyons, mais le décor classique et improbable ne colle pas avec la navette qui vient d’y arriver,  avec le sol lumineux.

Mais il y a plus. Ce qui est étrange et incompréhensible, c'est la série de glissements par laquelle Dave, au moyen de raccords regard, non seulement se dédouble mais aussi se voit toujours plus vieux. Le très vieux Dave dans son lit de mort regarde en face à lui et désigne du doigt, non plus lui-même, mais le monolithe noir...

La désorientation : nous tenons là une caractéristique structurale essentielle du film de S-F. Le film de S-F n'interroge pas seulement notre orientation dans l'espace, mais la totalité des repères qui permettent de nous orienter, de nous orienter dans la pensée.

L'orientation dans l'espace n'est qu'une métaphore de l'orientation en général.

 

La S-F propose donc une expérience inédite. Comme film de S-F, il propose une expérience limite, une expérience actuellement impossible, c’est-à-dire une « expérience de pensée », mais surtout une expérience de pensée dans la science. Or, le propre de l'expérience limite, c'est de faire varier des paramètres fondamentaux de la réalité et d'en observer les effets. D'où la différence avec les autres genres cinématographiques qui, s'ils proposent bien une expérience de pensée, mais dans une réalité qui demeure soumise aux lois physiques habituelles. Si la S-F est une expérimentation mentale au sens fort du terme, c'est parce qu'elle fait varier, non pas le contenu d'une réalité dont les paramètres seraient inchangés, mais ces paramètres eux-mêmes. C'est la fiction de « nouvelles combinaisons de circonstances ».

 
 
Des  questions métaphysiques.
 

Le film nous pose des questions complexes.

 

L’un des présupposés les plus fondamentaux de notre culture occidentale, celui qui accorde un statut à part, un statut supérieur (une « dignité ») à cette espèce animale particulière qu'est l'homme.

Là où la spécificité et la dignité éminente de l'humanité font question, c'est lorsque le robot se révolte et s’autonomise. La plupart du temps, l'autonomisation de la machine a pour contrecoup quelle seretourne contre celui qui l'a créée. C’est le cas avec la révolte de l’ordinateur Hal dans 2001. Si la machine cesse d'être une machine lorsqu'elle cesse d’appliquer le programme attendu, on interroge par contrecoup la définition de l'homme.

On voit une nette évolution dans la détermination de l'homme. D’abord distingué par la pensée rationnelle, puis par la capacité à traiter des informations,  l'homme est aujourd'hui, dans ce domaine, battu par largement plus performant. Du coup, dans des films comme L'Invasion des profanateurs de sépultures, Star Trek ou Terminator Renaissance, on voit que l’altérité (que ce soit dans la figure de l'extraterrestre ou dans celle du robot), c'est ce qui n'a pas d'émotions, de sorte que, par contrecoup, il apparaît bien que ce qui caractérise l'homme dans cette SF est l'émotion, l’affect ou encore le sentiment.

Cependant, cette ligne de démarcation disparait également lorsque la machine ne se contente pas de penser, mais se met à avoir des états d'âme. C'est le cas de Hal dans 2001, puis cela devient un lieu commun du cinéma de S-F contemporain, Wall-E (A. Stanton, 2008), Blade Runner

 

2001 nous amène donc à nous interroger sur ce qui nous définit.

 

Cette dimension, essentielle dans le film, n'est toutefois pas la seule. Il y en a une autre, à savoir la monstration de l'extraterrestre c'est-à-dire de l’altérité. Le problème pour Kubrick est alors de savoir comment dévoiler cet esprit organisateur suprême, ce terme supra-humain ou surhumain, donc l'intelligence extraterrestre dont on s'accorde à poser, dans la S-F, qu'elle est supérieure à nous.

Nous sommes là hors des limites de ce que l'esprit humain peut connaître, donc le monolithe nous reste impénétrable, incompréhensible.

 Mais Kubrick nous montre les effets des étapes de l’expérimentation extraterrestre sur la lignée humaine. Nous pouvons imaginer rétrospectivement l’étonnement, les questions de cet hominidé qui découvre un nouveau champ du possible, parce que nous sommes au-delà de cette première limite. Nous ne pouvons qu’être interloqués, désorientés, perdus par cet enfant-planète, cette nouvelle phase de l’humanité qui découvre d’autres champs du possible. Nous sommes restés en deçà de cette nouvelle limite, avec Dave, cette humanité morte ; comme les préhominidés sont morts pour nous. Autrement dit, rester dans les bornes de la connaissance humaine nous interdit d’accéder au point de vue de l'altérité extraterrestre.

Il est remarquable que 2001 commence avec le préhominidé et finisse avec l’enfant-planète, marquant par-là même que l'homme (le milieu du film, mais pas son centre) n'est qu'une transition.

2001 nous contraint à nous interroger sur notre origine, sur notre devenir.

2001 nous met devant les limites de notre pensée, nous oblige à les appréhender. Dans tous les cas, monstration de l'extraterrestre (Que montrer dans le monolithe ?), monstration du devenir de l'homme, de l'au-delà de l'homme, (l’enfant-planète dans 2001), monstration d’une utopie : le problème est analogue : il s'agit de montrer ce qui est au-delà de toute monstration.

 
 

LE CINEMA SOVIETIQUE DE S.F.

 

Ne rien montrer de l’altérité extraterrestre, c'est aussi la stratégie déployée par Andrei Tarkovski avec Solaris (1972, film voulu par les autorités soviétiques pour contrer 2001), et Stalker (1979) en exhibant l'altérité du point de vue de l'homme. Mais, justement, du point de vue de l'homme, on ne peut rien voir, sinon l'homme donc en aucun cas l'altérité. Dans les deux films de Tarkovski, il semble bien que quelque chose soit là (Solaris), ou bien ait été là (Stalker), mais de toute façon nos catégories et notre perception ne nous permettent pas de l'appréhender ou même d'en identifier les traces, de sorte que, quoiqu'on fasse, on se retrouve toujours face à soi-même, achoppant toujours sur le mystère insondable de ce qui apparaît.

Très peu connu car pratiquement pas diffusé, le cinéma soviétique de SF était un cinéma riche, aux effets spéciaux d’une très grande qualité, pacifiste et prosélyte. Les studios occidentaux ne se sont pas gênés pour pirater, cannibaliser ces films, les utiliser comme sources de séquences d’effets spéciaux sorties de leur contexte et réinsérées dans des productions fauchées et navrantes.


 
ORANGE MECANIQUE,

S. Kubrick, 1971, d’après le livre d’Anthony Burgess.  Extrait 6

Kubrick tente de trouver des équivalents du style du livre écrit à la première personne  pour rendre compte de la perception individualiste, égocentrée du monde: d'abord la voix off, mais aussi les contre-jours, le grand angulaire qui déforme l'espace et la profondeur, les cadrages surprenants, la caméra portative, le jeu exagéré des acteurs, les décors délirants, le travail sur le son qui élimine tout bruit du monde environnant, la stylisation d'une violence chorégraphiée qui évacue tout réalisme.

Cela fait ressentir l’isolement profond d’Alex dans cette société.

Cela tend aussià montrer qu'il y a une violence peut-être pire que celle d'Alex et de sa bande. C'est celle de l'institution, parce qu'elle se dissimule comme telle : c’est sous couvert d'une réinsertion (alibi moral) mise en avant par les gouvernants dans leur apparente bienveillance (alibi politique) et validée par la psychiatrie (alibi scientifique) qu'on fait subir à son tour à Alex les pires tortures dans la prison .

Le film montre la récupération par la société de criminels, qu'on recycle et dont la violence peut désormais s'exercer (deux des Droogs d’Alex deviennent policier et le tabasse). La société fonctionne comme la délinquance qu'elle exclut, puisque ce sont les jeunes délinquants qu'elle récupère et dont elle canalise la violence en lui donnant des modes d'expression déterminés et justifiés (la violence légitime, c'est-à-dire au service du droit).

La société d’Orange mécanique n'est qu'un recyclage de la violence qu'elle-même produit. Nous sommes en pleine dystopie.

Bref quelque chose a foiré quelque part, et nous sommes restés très proches du préhominidé de 2001, c’est le retour de la bête, en vain déniée. Alex est le lointain descendant du préhominidé de 2001. (Similitude des images, des attitudes, des comportements tribaux).

Ces deux films peuvent se lire comme un triptyque avec un prologue, L’aube de l’humanité, l’utopie sur le devenir de l’humanité : 2001 et son négatif, la dystopie de Orange mécanique. Que donne ce greffon de la réflexion sur l’instinct ? La conquête spatiale ou les cités ? Kubrick nous pose la question en 1968/71.


 
 
 
 
 
 
STAR WARS, MATRIX.
 

2001 va plomber le cinéma de SF pendant longtemps.

 

Il faut attendre 1977, La Guerre des étoiles, le premier épisode de l’épopée cinématographique de science-fiction créée par George Lucas pour voir le genre se relancer. D'abord conçue comme une trilogie sortie entre 1977 et 1983, la saga s'est ensuite élargie de trois films sortis entre 1999 et 2005.  Ce succès planétaire crée une nouvelle imagerie opposée à celle de 2001, une évolution dans la représentation des vaisseaux spatiaux. Il faut que les décors donnent l’impression de lieux habités depuis longtemps, qu’ils soient fatigués. Dès lors la S.F. crée toujours du neuf, mais du neuf vieux. Alien, R. Scott, 1979, s’inscrit dans cette nouvelle mode avec son immense cargo spatial, vétuste et rouillé.

Nous sommes en plein space-opéra. Mais avec Star Wars, puis Matrix le film de SF prend une autre place dans la diffusion.

 

Matrix est un « cyberfilm», réalisé par Andy et Larry Wachowski en 1999, premier volet d’une trilogie. Les cyborgs sont des êtres mélangeant éléments physiologiques et éléments technologiques.

Synopsis : Les Machines ont vaincu les humains, elles ont besoin d'énergie et se tournent vers la bioélectricité. Elles cultivent (au sens agricole) les humains dans des cocons. Une fois le cocon connecté, on peut prélever sa bioélectricité. Le problème, c'est qu'emprisonnés de la sorte, les Humains ne fournissent pas assez d'énergie. Les Machines ont donc créé la Matrice, sorte d'univers virtuel dans lequel les Humains s'épanouissent (c’est un quartier d’affaires !), assurant une quantité d'énergie considérable aux Machines. Les humains n'ont donc pas conscience de la réalité et du « monde qu'on superpose à leur regard ».

Extrait 7 : Matrix, la déconnection de Néo, un monde SF sale, des techniques numériques : le morphing, et donc une mise en doute permanente de l’apparence : l’intégrité, l’unité du héros n’est plus garantie, donc dans le cinéma US, celle du scénario non plus. Dans quel niveau de réalité sommes-nous ? Esthétique et scénario de jeu vidéo.

Ce n’est pas la première fois que l'homme peut devenir l'animal d'êtres supérieurs, de machines ou bien même une espèce qui se révèle soudain pourvue d'une intelligence plus grande que l'homme : La Planète des singes, J. Schaffner, 1968, La Planète sauvage, R. Laloux, 1973 en sont des exemples.

La trilogie pose bien sûr des questions métaphysiques. Mais les deux sagas Star Wars et Matrix marquent deux évolutions.

D’abord :

Le second moment essentiel dans la transformation de la S-F est lié à l'apparition de la technologie numérique. On pense à Tron (S. Lisberger, 1982), qui ressemble d'ailleurs aux images des premiers jeux vidéo ou à la technique du morphing dans Terminator 2 (J. Cameron, 1991).

Ici, il s'agit d'une différence qui est de nature et non plus de degré. On passe à un autre type de technologie qui montre autre chose ou qui montre d'une manière radicalement différente les mêmes choses. Jusqu'à l'avènement du numérique, la représentation cinématographique restait subordonnée aux limites du naturalisme, même si elle tentait (et particulièrement dans la S-F) de les dépasser. Avec le numérique, il n'y a plus de limites.

Le numérique permet de montrer des événements impossibles et procure au spectateur des expériences de pensée inédites. Tout devient possible : comme voir la ville se plier comme une feuille de papier (Inception, C. Nolan, 2010).

 
Ensuite :

Le cinéma de S-F contemporain rompt avec la manière dont on a conçu le cinéma jusqu'à présent. Non seulement le film peut déborder et engendrer un cycle de films (Star Wars, Matrix) mais il trouve son prolongement dans d’autres médias qui en prolongent l'histoire et/ou en explorent l'univers (le dessin animé, le livre, le jeu vidéo). Une fois fini, le film se continue ailleurs - mais cette ouverture déteint sur la structure même du film, comme en témoigne la multiplication des films aux fins alternatives.

Non seulement Star Wars, c'est beaucoup plus que six films, mais la fin n’est pas dans les films, elle est dans cequ'ils inaugurent et suscitent, ce qui est d'autant plus important que la saga a engendré une « culture participative » (expression de Henry Jenkins) culminant dans les fan-films, les blogs, les sites internet. De même, la vérité de Matrix n’estpas dans le(s) film(s), mais dans ce qui se passe après, en dehors de l'écran - c'est-à-dire dans ce qu'on en fait (Enter the Matrix : « L'avenir de la matrice est entrevos mains. »). Bref, ce qui importe dans le cinéma de S-F contemporain, c'est ce qu'on en fait. Il a permis d’inaugurer une nouvelle forme de culture de masse, multi facettes et participative, dont le film n’est que le substrat.

 
AVATAR
 
J. Cameron, 2009.
 

Le film parachève l’affirmation de la préoccupation écologique dans le cinéma de SF.

Mais surtout, le film est le premier succès planétaire de la 3D numérique en relief.

 

C’est que l'utilisation que fait Cameron de la 3-D est judicieuse. Car il s'agit moins dans Avatar, avec la 3-D, de faire sortir diverses choses de l'écran que de souligner la similitude établie par la situation narrative, entre la position qu'occupe le spectateur et celle qu'occupe le héros. Si le spectateur, en effet, est dans la position du héros, c'est parce que celui-ci, comme nous dans notre fauteuil, ne peut pas bouger et n'agit que par procuration, à travers son avatar (de même que le spectateur vit par procuration les aventures du héros).

 

L’immense succès d’Avatar fait penser un moment que la 3D en relief va tout balayer sous son passage, mais son hégémonie annoncée tarde à venir. Le cinéma de SF vient-il encore d’inventer une forme du cinéma du futur ? Lui seul (le futur) peut-répondre.

 

A noter que tout un pan du cinéma indépendant américain a intégré après le 11 septembre et l’ouragan Katrina que le ciel pouvait tomber sur la tête des Américains et explore, souvent par la dystopie, un autre futur américain (Take Shelter, J. Nicholls, 2011). Extrait 8 très beau film sur la contamination, la diffusion de la paranoïa.

Pour conclure :
 

Les blockbusters sortis ces derniers temps témoignent que l'époque a changé et que le cinéma de S-F n'est plus un cinéma marginal, que ce soit d'un point de vue économique ou d'un point de vue symbolique et culturel, puisque son succès public est doublé d'une estime critique. C’est 2001 qui a donné ses lettres de noblesse au cinéma de S-F. Des films, auparavant indignes d'être théorisés, ont désormais conquis la respectabilité en devenant des objets d'un discours critique. Le cinéma de genre, comme on dit pour désigner un cinéma jusque-là considéré comme absolument indigne, a également été revalorisé par un acte critique interne au cinéma lui-même : Tim Burton, dans Ed Wood, met sur le même plan Wood et Welles.

 

Le cinéma de science fiction peut ainsi :

- être un révélateur :      - de la société qui l’a produit

                                     - de la manière dont elle se perçoit

                                      - de la manière dont elle perçoit l’autre (Méliès, Wilcox, Cameron…)

 

- être une critique de cette société, souvent par la dystopie (Godard, Kubrick…)

 

- nous interroger sur :    - l’origine, la place et le devenir de l’homme (Kubrick)

                                      - les limites de l’humain (Wachowski)

                                      - nos repères de pensée (Kubrick) et nous proposer « de nouveaux                                      champs d’expérience » de pensée.

 

- inventer :                     - sinon le futur, au moins s’interroger sur ses représentations

                                      - la scénographie d’événements du futur (Lang)

                                      - le futur du cinéma, dans sa technique et dans sa diffusion (de Méliès                                            à Star Wars, Matrix, Avatar…)

 

… pas si mal pour un mauvais genre.

 
 
 

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