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Les livres de l'Université Populaire d'Évreux


 Lecture du Capital de Marx (I)

Première séance – 27 septembre 2013

 

 Précisions bibliographiques et historiques

L’objet de l’ouvrage : Critique de l’économie politique. C’est un projet que Marx entame en 1844 ! Une longue marche scandée par des ouvrages théoriques où l’on peut suivre une recherche qui semble longtemps tâtonner.

-          Manuscrits de 1844 (ou Manuscrits parisiens)

-          Misère de la philosophie (contre Proudhon) 1847

-          Travail salarié et capital - 1847

-          Introduction à la critique de l’économie politique – 1857

-          Critique de l’économie politique – 1859

-          … et les manuscrits : notamment les Grundrisse (1857-1859)

Plan du Capital.
Plan originel (1857)

I. Le livre du Capital.

a. Le capital en général.

1. Processus de production du capital.

2. Processus de circulation du capital.

3. Profit et intérêts.

b. Section de la concurrence.

c. Section sur le système de crédit.

d. Section sur le système des actions.

II. Le livre de la propriété de la terre.

III. Le livre du travail salarié.

IV. Le livre de l'État.

V. Le livre du commerce extérieur.

VI. Le livre du marché mondial et des crises.

Plan de 1866

Livre I. Processus de production du capital.

Livre II. Processus de circulation du capital.

Livre III. Synthèse du processus global.

Livre IV. Histoire de la théorie (Théories sur la plus-value).

Le livre I paraît en 1867 – puis en 1875 pour la traduction française de J. Roy. La 2e édition allemande en 1873.

Les livres II et III sont publiés par Engels à partir des manuscrits de Marx.

Le livre IV est publié par Kautsky.
Actuellement, reprise de textes par la nouvelle MEGA.
Éditions françaises actuelles :

-          La Pléiade (I et II) à Rubel + versions poche

-          ES : épuisé !

-          PUF Quadrige pour le livre I

-          Travail de la GEME qui reprend le fond ES – projet semble-t-il abandonné après quelques publications (en fait republications des ES)

Chapitre I, section I

Le point de départ est l’analyse de la marchandise ou plutôt ce que Marx appelle « forme valeur ». Il prend la marchandise «cellule de la société bourgeoise» comme point de départ parce qu’elle apparaît comme la réalité immédiate selon le point de vue de l’économie. Il va progressivement décomposer cette réalité immédiate, cette «chose extérieure» en ses formes : la valeur d’usage d’une part et la valeur d’échange d’autre part, qui finit par être la valeur, tout court.

 

Or cette chose, la marchandise, est d’abord définie par non en elle-même mais par le fait qu’elle satisfait un besoin humain, de quelque nature qu’il soit. C’est précisément à partir de là que s’effectue le dédoublement. Mais remarquons ceci sur lequel il nous faudra revenir : l’analyse de la marchandise, dès le début du Capital n’est pas le véritable fondement, le véritable point de départ, mais elle n’est au contraire compréhensible que sur la base d’une théorie des besoins. Voilà ce que l’on va d’abord voir.

D’une part il s’agit en analysant ce qui constitue la cellule de la vie économique des sociétés dominées par les rapports de production capitaliste de montrer que les rapports sociaux que matérialise la marchandise contiennent en puissance toutes les contradictions du mode de production capitaliste : c’est dans la scission entre valeur d’usage et valeur d’échange que réside la possibilité des crises de surproduction qui jouent un si grand rôle dans la théorie marxienne – et même si cette possibilité est seulement une possibilité abstraite, elle sera le point de départ de l’analyse concrète des crises économiques. D’autre part, il s’agit de montrer que le fait même que la richesse sociale apparaisse sous forme de marchandise engendre des représentations idéologiques du réel qui masquent la nature même des rapports de production capitaliste. Ou, plus précisément, parce que l’idéologie reste un terme vague, il faut montrer la mise en œuvre dans l’analyse même de la cellule de la société bourgeoise, du mécanisme qui substitue à la vie réelle son équivalent idéal, sachant que, comme le dit Marx, l’idée est l’argent de l’esprit. On n’a donc tout à la fois une théorie sociale et une phénoménologie des rapports sociaux, une théorie de l’apparition de ces rapports sociaux dans la pensée.

Ce qui fonde la production se trouve donc bien du côté du facteur subjectif et la forme équivalent «objective» n’est que le résultat et la dissimulation de cette réalité. C’est même, dit Marx, cette fausse apparence qui distingue le travail salarié des autres formes historiques du travail.[1]

En analysant la valeur comme forme, Marx montre du même coup comment il désigne ce qu’est la matière de cette forme : le facteur subjectif. L’identification entre ce qui est matériel et ce qui est subjectif parcourt tout le texte du Capital.  Ainsi quand il parle du «motif matériel» de l’échange, ce motif n’est autre que le besoin d’une marchandise comme valeur d’usage[2]. La production matérielle désigne l’activité de la force personnelle du travailleur, en tant qu’elle présente telle ou telle qualité. Ainsi l’analyse des catégories économiques, ces « formes de l’intellect » comme dit Marx, conduit à mettre au clair le véritable sujet, ou la véritable substance, qui ne peut être le prédicat de rien mais qui est la cause de l’économie.

Marx ne décrit donc pas une «réalité économique» existant par soi et qui serait le fondement, «l’infrastructure» de toutes les autres sphères sociales, mais bien, pour reprendre encore une expression de Michel Henry, la fondation subjective de la réalité économique :

« À travers toute l’œuvre de Marx, du manuscrit de 42 au Capital, l’objectivité définit le milieu de l’irréalité, et le devenir qui conduit à ce milieu n’est pas l’impossible objectivation de la vie, mais le moment d’une substitution décisive, la substitution à la vie d’une abstraction, ou, pour mieux dire, de son équivalent idéal. Une telle substitution n’est rien d’autre que la genèse transcendantale de l’économie qui constitue à la fois l’analyse inaugurale du Capital et son fondement. »[3]

C’est précisément ce qui permet de comprendre tout à la fois le caractère central de la théorie de la valeur-travail – que la plupart des économistes et même un certain nombre de marxistes rejettent – et l’importance de la théorie du fétichisme dans des travaux qui se présentent comme des travaux «économiques». 

§1 : les deux facteurs de la marchandise : valeur d’usage et valeur (substance de la valeur, grandeur de la valeur)

Tout ce chapitre est consacré à l’analyse de la marchandise ou plus exactement des formes que prend la marchandise. Pourquoi commencer par la marchandise ? Pour deux raisons étroitement liées :

1)       La richesse dans les sociétés dominées par le mode de production capitaliste « apparaît comme une gigantesque collection de marchandises »

2)       La marchandise est la « cellule » de la société bourgeoise. Elle contient en puissance tout le développement qui va suivre.

Il faut tout de même noter que ce point de départ repose lui-même sur une illusion : le fait que la marchandise apparaisse comme la forme élémentaire de la richesse ne fait pas d’elle cette richesse elle-même. En effet Marx ne cessera de dénoncer cette identification de la richesse à la masse des marchandises, puisque la richesse sociale comprend aussi des biens naturels (l'eau, l'air, le soleil, la nature) et humains qui n'ont aucune valeur et n'en constituent pas moins une richesse réelle. Cette remarque, que Marx n'oublie jamais de faire, non seulement dans «Le Capital» mais aussi dans sa critique du programme lassallien de Gotha, est extrêmement importante et comprend déjà en elle-même toute la critique de l'économie politique et du matérialisme économiste. Elle permet aussi de comprend la stupidité des thèses « décroissantes » qui identifient la sortie du monde de la marchandise et la frugalité – restriction christiano-stoïcienne de la consommation.

Il faut d’abord bien saisir que l’on ne commence pas par la marchandise pour des raisons généalogiques : en gros, on aurait d’abord la production marchande, puis la généralisation de la monnaie et enfin de capitalisme. Certes, on pourrait penser que cet ordre-là est, globalement l’ordre historique : il y a des échanges marchands avant l’introduction de la monnaie et la généralisation de l’usage de la monnaie précède le capitalisme. Mais la première section du Capital n’est pas un manuel d’histoire qui raconterait le prétendu passage de la petite propriété indépendante à la propriété capitaliste – il y a cependant des indications historiques importantes dans le livre I et notamment dans le chapitre XXIV consacré à La prétendue « accumulation initiale ».

La première section du Capital n’est donc pas historique et la généalogie du capital qu’on y peut trouver est une généalogie logique, à partir du développement des concepts – c’est pourquoi elle peut paraître décalquer la logique hégélienne. La marchandise dont parle le chapitre premier n’est pas la marchandise que s’échangeaient les Grecs sur l’agora, mais la marchandise développée, telle qu’elle existe dans le mode de production capitaliste. Il suffit de lire les premières lignes pour le comprendre :

La marchandise est d’abord un objet extérieur, une chose qui satisfait grâce à ses qualités propres, des besoins humains d’une espèce quelconque. La nature de ces besoins qu’ils surgissent dans l’estomac ou dans l’imagination ne change rien à l’affaire. Pas plus qu’il importe de savoir comment la chose en question satisfait ce besoin humain, si c’est immédiatement en tant que moyen de subsistance, c’est-à-dire comme objet de jouissance, ou par un détour comme moyen de production.

Pour qu’on puisse parler du besoin en général, indépendamment de sa nature (besoin physique ou imaginaire) et indépendamment de même de l’utilisation (consommation ou production), il faut avoir accompli un travail d’abstraction considérable. Il faut que la production soit maintenant entièrement dominée par la production de marchandise. Il ne viendrait pas à l’idée d’Aristote de considérer que le cordonnier satisfait le besoin en chaussures comme le philosophe satisfait les besoins spirituels de ses élèves. Ce sont deux domaines de la vie rigoureusement séparés. Au contraire, dans le monde capitaliste, la bouteille de cognac et la bible satisfont également des besoins, même si la dernière satisfait des besoins spirituels et la première des besoins en spiritueux.

On remarquera aussi que les besoins ne se résument pas aux besoins vitaux, à ce minimum vital qui détermine le prix du travail dans l’économie de Ricardo et encore moins à cette « loi d’airain » de Lassalle qu’on retrouvera sous le forme d’une théorie de la paupérisation absolue, d’une théorie misérabiliste à mille lieues de la pensée de Marx.

Mais une marchandise n’est pas simplement une chose utile pour la satisfaction des besoins. Les chasseurs-cueilleurs ignorent la marchandise ! ce qui veut dire, soit dit en passant que l’économie n’est pas consubstantielle à la nature humaine.

La marchandise se présente sous deux aspects, dit Marx, « selon sa qualité et selon sa quantité ». Ici va commencer la danse des catégories ! Entre Aristote (Métaphysique) et la Théorie de la mesure de la Logique de Hegel. Qualité et quantité : voilà qui ouvre la voie à la compréhension de la marchandise comme valeur d’usage et valeur d’échange et ensuite à l’émergence de la « forme-valeur ».

Marx note d’ailleurs que l’utilité des choses, la multiplicité possible de leurs usages et les différentes unités de mesure sont des actes historiques. L’utilité d’une chose est sa « valeur intrinsèque » : elle ne dépend que des qualités de la chose elle-même. C’est la valeur d’usage :

La valeur d’usage ne se réalise que dans l’usage ou la consommation. Les valeurs d’usage constituent le contenu matériel de la richesse, quelle que soit par ailleurs sa forme sociale. Dans la forme sociale que nous avons à examiner, elles constituent en même temps les porteurs matériels de la valeur … d’échange.

Le contenu matériel de la richesse est la valeur d’usage : c’est très exactement l’objet premier de la bonne gestion de la maisonnée (« économique ») qui pourvoir tous les membres de cette maisonnée en biens d’usage dont la valeur réside dans leur capacité à satisfaire des besoins. Mais une valeur d’usage n’est pas nécessairement une valeur d’échange : elle ne l’est que dans la « forme sociale » spécifique qui est l’objet de l’étude du chapitre I. Elle pourrait très bien ne pas l’être et alors elle échapperait à la « science économique » conçue au sens moderne (en tant que continuatrice de l’économie politique née véritablement au XVIIe siècle). Dans les interstices de la société dominée par le mode de production capitaliste, restent de nombreuses enclaves dans laquelle la production de richesses n’est pas une production marchande, mais seulement une production de valeurs d’usage : la production domestique (cuisine familiale, jardin, bricolage), les systèmes d’entraide informels ou non, toute la partie socialisée de la production. La production y est certes insérée dans le marché puisque les moyens de production sont généralement achetés comme marchandises et payés en monnaie, mais on ne produit pas des marchandises. Ce ne sont certes pas des enclaves communistes – encore que dans certains cas, on puisse y voir des germes de communisme –, mais seulement des témoins que toute richesse n’est pas marchandise et toute activité productive n’est pas nécessairement du travail aliéné.

 


[1] Salaire, Prix et plus-value PL 1 page 514

[2] cf. Capital I,II,5 page 707

[3] Michel Henry : op.cit. tome II page 137

 

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