Les Cinq leçons sur la psychanalyse sont des conférences données par Freud aux Etats-Unis en 1909 en vue de présenter ce qu’est la psychanalyse, ainsi que ses résultats. A cette époque, sa théorie est pratiquement construite, mais manquent encore des éléments essentiels comme la seconde topique et la notion de pulsion de mort. Mais dans ses grandes lignes, la psychanalyse est mise en place.
[Nous reproduisons en caractères gras le texte de Freud]
1ère leçon : origine de la psychanalyse. Observation du Dr Breuer (Anna O.). Les traumatismes psychiques. Les hystériques souffrent de réminiscences. Le traitement cathartique. L’hystérie de conversion
Objet : origine de la psychanalyse : son point de départ = l'hystérie.
Ce n'est pas à moi que revient le mérite – si c'en est un - d'avoir mis au monde la psychanalyse. Je n'ai pas participé à ses premiers commencements. J'étais encore étudiant, absorbé par la préparation de mes derniers examens, lorsqu'un médecin de Vienne, le Dr Joseph Breuer, appliqua pour la première fois ce procédé au traitement d'une jeune fille hystérique (cela remonte aux années 1880 à 1882). Il convient donc de nous occuper tout d'abord de l'histoire de cette malade et des péripéties de son traitement. Mais auparavant encore un mot. Ne craignez pas qu'une formation médicale soit nécessaire pour suivre mon exposé. Nous ferons route un certain temps avec les médecins, mais nous ne tarderons pas à prendre congé d'eux pour suivre le Dr Breuer dans une voie tout à fait originale.
Par modestie, semble-t-il, Freud inaugure sa série de conférence en affirmant qu’il n’est pas le découvreur de la psychanalyse, mais que c’est son ami Breuer (médecin viennois, 1842-1925) qui en est le précurseur. Ce dernier a en effet, le premier eut une nouvelle interprétation des symptômes liés à l'hystérie, ainsi que des succès thérapeutiques. Toutefois, si Freud rend hommage à Breuer, il n'en reste pas moins vrai que la naissance de la psychanalyse est bien son œuvre. Ainsi, dans Contribution à l’histoire du mouvement psychanalytique (1914), Freud lui-même reviendra sur cette première affirmation et revendiquera la création de la psychanalyse. Il se justifie en deux points : tout d’abord il a souhaité exprimé sa dette envers Breuer, qui l’a mis sur la piste de sa découverte. Mais la psychanalyse va véritablement voir le jour avec la méthode dite de « l’association libre » (nous y reviendrons), délaissant celle du procédé cathartique. Par ailleurs, et c’est le deuxième point de l’explication de Freud, s’il revendique après-coup la paternité de la psychanalyse, c’est parce que c’est lui qui pendant des années a pris les coups et reçu les critiques. Donc rendons ce qui est à César. Si on revient au tout début de cette 1ère Leçon, d’une certaine manière, on commence par une dénégation. Dénégation qui ne vaut pas comme non reconnaissance de responsabilité, mais qui doit plutôt se comprendre comme une dette de reconnaissance.
Il est à noter que Freud et Breuer se sépareront sur l’interprétation de l’origine de l’hystérie. En effet, Breuer refusera d'attribuer les symptômes de l'hystérie à une origine purement sexuelle, ou en tout cas à la sexualité infantile, ce que fera Freud plus tard. Breuer avait remarqué que les représentations refoulées qui reviennent sous forme de symptômes avaient un contenu sexuel, mais lié à la période de la puberté, voire à l’entrée dans la vie adulte par le mariage (« je pense ne pas exagérer en prétendant que le lit conjugal est, chez les femmes, à l’origine de la plupart des névroses graves. » Etudes sur l’hystérie p.200), alors que Freud y verra une origine bien plus antérieure. Mais Breuer s’est mis relativement tôt en retrait, puisqu’après le cas d’Anna O., il n’entreprendra plus vraiment d’analyse avec ses patients.
Par ailleurs, Freud nous avertit d'emblée qu'il sera tenu de sortir assez rapidement de la médecine classique pour aborder cette nouvelle science qu'est la psychanalyse. Ainsi, il n’est pas nécessaire d’être médecin pour comprendre la théorie psychanalytique et ses résultats. De ce fait, Freud sépare bien médecine (ou neurologie) et psychologie. Et c’est justement parce que la médecine ne comprend pas et ne soigne pas l’hystérie, que la psychanalyse va trouver sa raison d’être.
La malade du Dr Breuer était une jeune fille de vingt et un ans, très intelligente, qui manifesta au cours des deux années de sa maladie une série de troubles physiques et mentaux plus ou moins graves. Elle présenta une contracture des deux extrémités droites avec anesthésie ; de temps en temps la même affection apparaissait aux membres du côté gauche; en outre, trouble des mouvements des yeux et perturbations multiples de la capacité visuelle ; difficulté à tenir la tête droite; toux nerveuse intense, dégoût de toute nourriture et, pendant plusieurs semaines, impossibilité de boire malgré une soif dévorante. Elle présentait aussi une altération de la fonction du langage, ne pouvait ni comprendre ni parler sa langue maternelle. Enfin, elle était sujette à des « absences », à des états de confusion, de délire, d'altération de toute la personnalité ; ce sont là des troubles auxquels nous aurons à accorder toute notre attention.
Il semble naturel de penser que des symptômes tels que ceux que nous venons d'énumérer révèlent une grave affection, probablement du cerveau, affection qui offre peu d'espoir de guérison et qui sans doute conduira promptement à la mort. Les médecins diront pourtant que, dans une quantité de cas aux apparences aussi graves, on peut formuler un pronostic beaucoup plus favorable. Lorsque des symptômes de ce genre se rencontrent chez une jeune femme dont les organes essentiels, le cœur, les reins, etc., sont tout à fait normaux, mais qui a eu à subir de violents chocs affectifs, et lorsque ces symptômes se développent d'une façon capricieuse et inattendue, les médecins se sentent rassurés. Ils reconnaissent en effet qu'il s'agit là, non pas d'une affection organique du cerveau, mais de cet état bizarre et énigmatique auquel les médecins grecs donnaient déjà le nom d'hystérie, état capable de simuler tout un ensemble de troubles graves, mais qui ne met pas la vie en danger et qui laisse espérer une guérison complète. Il n'est pas toujours facile de distinguer une telle hystérie d'une profonde affection organique. Mais il ne nous importe pas ici de savoir comment on établit ce diagnostic différentiel ; notons simplement que le cas de la jeune fille de Breuer est de ceux qu'aucun médecin habile ne manquera de ranger dans l'hystérie. Il convient de rappeler ici que les symptômes de la maladie sont apparus alors que la jeune fille soignait son père qu'elle adorait (au cours d'une maladie à laquelle il devait succomber) et que sa propre maladie l'obligea à renoncer à ces soins.
Avant de faire ces conférences, Breuer et Freud avaient publié en 1895 les Etudes sur l’hystérie, qui peuvent représenter si ce n’est la véritable naissance de la psychanalyse, en tout cas ses prémisses. Il s’agissait de présenter une nouvelle méthode pour étudier et traiter les symptômes hystériques. C’est dans ces Etudes qu’est présenté pour la première fois le cas Anna O., pseudonyme de Bertha Papenheim , premier cas véritablement étudié sous un angle psychanalytique, si je puis dire. Celle-ci était la patiente de Breuer, c’est pourquoi sans doute Freud a-t-il d’abord considéré que Breuer était à l’origine de la psychanalyse. Mais si ce cas en est effectivement l’élément déclencheur, la méthode utilisée par Breuer ne restera pas celle de la psychanalyse. De plus, la psychanalyse ne se limitera pas à l’étude et au soin de l’hystérie, mais également à d’autres manifestations de notre Inconscient sur lesquelles nous reviendrons.
Freud commence par décrire les symptômes de cette patiente, qui sont des symptômes physiques : paralysie, troubles de la vue, confusions mentales, troubles du langage, etc. Comme le souligne Freud, qui était neurologue de formation, ces troubles semblent apparentés à un dysfonctionnement du système nerveux et du cerveau, donc un dysfonctionnement d'ordre physiologique. Comme le souligne également Freud, les médecins étaient néanmoins capables de réaliser que cette maladie, pouvant être grave, n'était due à aucune lésion corporelle, et qu'elle mettait rarement en danger la vie des patients qui en étaient atteints. Cette maladie est appelée hystérie et est connue depuis longtemps. En effet, dès l'Antiquité, on connaît cette maladie. On la considérait comme une maladie organique, utérine (le mot hystérie a pour origine utérus), mais touchant le corps dans son ensemble, celui des femmes. On pensait donc déjà qu'elle avait une origine sexuelle, puisqu'on conseillait de marier les jeunes filles, ou de remarier les veuves, qui en étaient atteintes ! Au Moyen-âge, on a brûlé nombre de femmes atteintes de cette maladie, accusées de sorcellerie et d'être possédées par le diable. Cependant, déjà au 17ème s., certains médecins avaient compris que le siège de cette maladie était dans le cerveau, et non dans l’utérus, et pouvait donc aussi toucher les hommes. Néanmoins, Freud fut mis au ban des médecins de Vienne, lorsqu'il osa affirmer, en 1886, que l'hystérie pouvait être aussi masculine. En effet, l'hystérie est une maladie psychosomatique, plus précisément c'est une névrose. Qu'est-ce qu'une névrose ? C'est une maladie d'ordre psychique, mais qui se manifeste par des symptômes physiques. Cette maladie peut être handicapante, car elle révèle une incapacité à s'adapter à la vie ordinaire.
En effet, soit le névrosé est incapable de faire des choses simples de la vie quotidienne à cause d’une peur inexplicable, par exemple faire les courses, c’est ce qu’on appelle des phobies ou névroses d’angoisse , ou les entoure de très grandes précautions, en y associant des rites (ex : vérifier 5 fois que le verrou de la porte est fermé, avant d'aller se coucher), on parle alors de névroses obsessionnelles ou compulsives (les TOCS par exemple). Les symptômes peuvent aussi se manifester, comme dans le cas d'Anna O., par des souffrances physiques et que l’on appelle hystérie de conversion. Pourquoi de conversion ? Car les traumatismes psychiques, ou chocs affectifs, se convertissent ou s’expriment sous forme de symptômes physiques, c’est-à-dire de réactions du corps (paralysies, pertes de conscience, etc.). Dans tous les cas, le névrosé se rend compte de son inadaptation, mais n'est pas en mesure d'y changer quoi que ce soit. Nous pouvons noter ici la différence entre psychose et névrose. La psychose est une maladie de la personnalité dont le malade est incapable de reconnaître la réalité et la gravité : le psychotique a coupé le lien avec la réalité. La névrose est aussi une maladie de la personnalité qui empêche le malade d’accomplir ses fonctions sociales, mais dont le malade reconnaît douloureusement le caractère pathologique.
Revenons à Anna O. Cette dernière souffre de troubles physiques, mais qui n'ont pas de cause physique ou physiologique. Les symptômes de sa maladie sont apparus lorsqu’elle avait 21 ans et se sont maintenus pendant deux ans (1880-1882). C’était une jeune fille vive et intelligente. Contrairement à ce qu’ont affirmé des psychologues français comme Binet (1857-1911) et Janet (1859-1947), l’hystérie n’est pas une maladie de « faiblesse » réservée à des individus disposant d’une capacité de synthèse insuffisante. L’hystérie peut toucher chacun d’entre nous. Celle d’Anna O. est apparue suite à la déclaration de la maladie de son père. En même temps que ses paralysies sont apparus d’importants troubles du langage. Au départ, elle ne trouvait plus ses mots pour finir par ne plus pouvoir parler du tout. Elle avait comme oublié sa langue maternelle (l’allemand) et ne pouvait que s’exprimer en anglais. En quelque sorte, par une angoisse indicible, une chose qui l’avait bouleversée et qu’elle avait décidé de taire, la parole lui manquait. Cette angoisse, Freud y fait allusion p.15, a été provoquée suite à une hallucination. Voulant prier, tellement paniquée, elle ne trouva pas les mots et ne put se souvenir que d’une comptine enfantine en anglais. C’est pourquoi elle se mit ensuite à parler anglais et ne put comprendre sa langue maternelle pendant une année et demie. Lorsqu’elle put évoquer cette terreur avec Breuer, son inhibition à la parole disparut.
Il nous faut préciser ici les circonstances de cette maladie. Tout d’abord Anna O., selon Breuer, était une jeune fille intelligente mais insuffisamment occupée, ce qui lui donnait l’occasion de se laisser aller à la rêverie. Pendant ces rêveries, elle s’est mise à développer des états que Breuer qualifie d’hypnoïdes et qui vont favoriser la maladie. En effet, Anna O. connaîtra comme un dédoublement de conscience, deux états bien distincts : l’un « normal », l’autre « maladif » mais perméables l’un à l’autre puisque la malade pouvait dire après-coup qu’elle ne s’était pas bien comportée. Toutefois dans l’état hypnoïde, Anna O. souffrait d’amnésie. Elle se croyait par exemple dans l’année précédente. Sa maladie s’est déclarée en même temps que celle de son père (maladie des poumons dont il finira par mourir moins d’un an après), père auquel elle était très attachée. L’annonce de sa maladie a donc constitué pour Anna O., un traumatisme affectif : la peur de perdre ce père aimé. L’altération de sa santé sera encore accentuée par le décès du père.
Freud reviendra plus loin sur l’interprétation des différents symptômes qu’il énumère ici. Ce que l’on peut retenir d’ores et déjà, c’est que ces symptômes sont très importants et altèrent la personnalité de la patiente. Néanmoins, ils n’ont aucune cause organique et les médecins le savaient avant Freud. Ainsi, voici ce qu’avait déjà découvert Charcot (1825-1893) :
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Cause traumatique de l’hystérie agit dans l’après-coup.
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Caractère non nécessairement féminin de l’hystérie.
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Symptômes hystériques ne sont pas simulés
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Hypnose permet de guérir les malades
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Possible détermination psychologique des symptômes organiques
Ce qui sera intéressant, ce sera le sens que Freud donnera à tout cela et comment il le guérira.
Les renseignements qui précèdent épuisent ce que les médecins pouvaient nous apprendre sur le cas qui nous intéresse. Le moment est venu de quitter ces derniers. Car il ne faut pas s'imaginer que l'on a beaucoup fait pour la guérison, lorsqu'on a substitué le diagnostic d'hystérie à celui d'affection cérébrale organique. L'art médical est le plus souvent aussi impuissant dans un cas que dans l'autre. Et quand il s'agit d'hystérie, le médecin n'a rien d'autre à faire qu'à laisser à la bonne nature le soin d'opérer le rétablissement complet qu'il est en droit de pronostiquer.
Si le diagnostic d'hystérie touche peu le malade, il touche beaucoup le médecin. Son attitude est tout autre à l'égard de l'hystérique qu'à l'égard de l'organique. Il n'accorde pas à celui-là le même intérêt qu'à celui-ci, car son mal est bien moins sérieux, malgré les apparences. N'oublions pas non plus que le médecin, au cours de ses études, a appris (par exemple dans des cas d'apoplexie ou de tumeurs) à se représenter plus ou moins exactement les causes des symptômes organiques. Au contraire, en présence des singularités hystériques, son savoir, sa science anatomique, physiologique et pathologique le laissent en l’air. Il ne peut comprendre l'hystérie, en face d'elle il est incompétent. Ce qui ne vous plaît guère quand on a l'habitude de tenir en haute estime sa propre science. Les hystériques perdent donc la sympathie du médecin, qui les considère comme des gens qui transgressent les lois (comme un fidèle à l'égard des hérétiques). Il les juge capables de toutes les vilenies possibles, les accuse d'exagération et de simulation intentionnelles ; et il les punit en leur retirant son intérêt.
Dans ce passage, Freud met en évidence l'incapacité de la médecine traditionnelle à traiter l'hystérie. En substituant une origine cérébrale organique à l'hystérie, la médecine a, en quelque sorte, dévalorisé cette dernière. Les hystériques deviennent des patients moins intéressants, d'autant plus qu'ils sont impossibles à guérir par les méthodes médicales classiques et semblent faire preuve de mauvaise volonté, voire simulent leurs souffrances. Les médecins, parce qu'ils s'appuient sur leur science, ont des difficultés à accepter une maladie qui apparaît comme réfractaire à leurs soins. En effet, comme nous l’avons dit, l’hystérie est une maladie d’origine psychique qui se manifeste par des symptômes physiques, mais ceux-ci n’ont pas d’origine organique, ce qui « laisse (le médecin) en l’air », il est incapable de soigner les effets, ne disposant pas de l’explication causale d’ordre physico-chimique. Or, les médecins sont en général les spécialistes de la maladie, c’est eux qui sont compétents pour soigner. Mais les hystériques « ne se laissent pas » soigner par eux, ils sont donc considérés par ceux-ci comme déviants et falsificateurs, et ne sont donc plus dignes de leur intérêt. En quelque sorte, les hystériques ne sont pas des malades sérieux. C’est pourquoi Freud nous dit que « le moment est venu de quitter ces derniers » p.11
Le Dr Breuer, lui, n'a pas suivi une telle conduite. Bien que tout d'abord il fût incapable de soulager sa malade, il ne lui refusa ni sa bienveillance ni son intérêt. Sans doute sa tâche fut-elle facilitée par les remarquables qualités d'esprit et de caractère dont elle témoigna. Et la façon sympathique avec laquelle il se mit à l'observer lui permit bientôt de lui porter un premier secours.
On avait remarqué que dans ses états d'absence, d'altération psychique avec confusion, la malade avait l'habitude de murmurer quelques mots qui semblaient se rapporter à des préoccupations intimes. Le médecin se fit répéter ses paroles et, ayant mis la malade dans une sorte d'hypnose, les lui répéta mot à mot, espérant ainsi déclencher les pensées qui la préoccupaient. La malade tomba dans le piège et se mit à raconter l'histoire dont les mots murmurés pendant ses états d'absence avaient trahi l'existence. C'étaient des fantaisies d'une profonde tristesse, souvent même d'une certaine beauté - nous dirons des rêveries - qui avaient pour thème une jeune fille au chevet de son père malade. Après avoir exprimé un certain nombre de ces fantaisies, elle se trouvait délivrée et ramenée à une vie psychique normale. L'amélioration, qui durait plusieurs heures, disparaissait le jour suivant, pour faire place à une nouvelle absence que supprimait, de la même manière, le récit des fantaisies nouvellement formées. Nul doute que la modification psychique manifestée pendant les absences était une conséquence de l'excitation produite par ces formations fantaisistes d'une vive tonalité affective. La malade elle-même qui, à cette époque de sa maladie, ne parlait et ne comprenait que l'anglais, donna à ce traitement d'un nouveau genre le nom de talking cure ; elle le désignait aussi, en plaisantant, du nom de chimney sweeping.
Ici, Freud retrace ce que l'on pourrait appeler les premiers débuts de la psychanalyse. En effet, contrairement à ses confrères, le Dr Breuer a continué, malgré son manque de succès, à s'intéresser à sa patiente Anna O. A force de patience et d'écoute, il a découvert qu'il se passait quelque chose. Comme nous l’avons dit, sa patiente souffrait d’états hypnoïdes, pendant lesquels elle « s’absentait ». Lors de ses crises, elle marmonnait des mots. Pour que ceux-ci lui soient intelligibles, il l'a mise sous hypnose. C'est alors qu'il a découvert, qu'à travers sa parole, elle révélait sa souffrance. Une fois sortie de l'hypnose, Breuer s'est rendu compte que l'expression par la parole permettait à Anna O. d'être soulagée pour un temps. Elle se réveillait alors lucide et gaie, retrouvant une activité normale et raisonnable. Breuer insiste bien dans les Etudes sur l’hystérie sur le fait qu’elle allait mieux après avoir pu « se raconter ». Ce point est important et nous y reviendrons. Cependant, « se raconter » ne la soulageait que pour un temps. Freud donne à ce soulagement ponctuel une explication essentielle : ses symptômes étaient le résultat d’une forte activité affective inconsciente. Cette méthode cathartique, Anna O. l'a elle-même appelée cure par la parole (talking cure) et aussi chimney sweeping = ramonage, nettoyage de cheminée : c’était à l’époque où elle ne pouvait s’exprimer qu’en anglais. Mais ce que nous pouvons d’ores et déjà en tirer, c’est que parler peut soigner, peut lever les obstacles. L'interprétation que tire Freud de cette expérience est que les crises hystériques sont dues à des réminiscences (des souvenirs inconscients) d'ordre affectif, nous y reviendrons.
On remarqua bientôt, comme par hasard, qu'un tel «nettoyage » de l'âme faisait beaucoup plus qu'éloigner momentanément la confusion mentale toujours renaissante. Les symptômes morbides disparurent aussi lorsque, sous l'hypnose, la malade se rappela avec extériorisation affective, à quelle occasion ces symptômes s'étaient produits pour la première fois. Il y avait eu, cet été-là, une période de très grande chaleur, et la malade avait beaucoup souffert de la soif, car, sans pouvoir en donner la raison, il lui avait été brusquement impossible de boire. Elle pouvait saisir le verre d'eau, mais aussitôt qu'il touchait ses lèvres, elle le repoussait comme une hydrophobe. Durant ces quelques secondes elle se trouvait évidemment en état d'absence. Elle ne se nourrissait que de fruits, pour étancher la soif qui la tourmentait. Cela durait depuis environ six semaines, lorsqu'elle se plaignit un jour, sous hypnose, de sa gouvernante anglaise qu'elle n'aimait pas. Elle raconta alors, avec tous les signes d'un profond dégoût, qu'elle s'était rendue dans la chambre de cette gouvernante et que le petit chien de celle-ci, un animal affreux, avait bu dans un verre. Elle n'avait rien dit, par politesse. Son récit achevé, elle manifesta violemment sa colère, restée contenue jusqu'alors. Puis elle demanda à boire, but une grande quantité d'eau, et se réveilla de l'hypnose le verre aux lèvres. Le trouble avait disparu pour toujours.
Freud prend ici en exemple un des symptômes décrit pratiquement tel quel par Breuer. En prenant cet exemple de la soif, Freud veut montrer que certains symptômes peuvent disparaître définitivement. A travers cet exemple, il montre que le trouble éprouvé par Anna O. était dû à un traumatisme (écœurement) refoulé. Précisons ici que le refoulement, au sens psychanalytique du terme, consiste en un processus qui empêche des représentations, douloureuses ou déplaisantes, d'accéder à la conscience.
Etant refoulé, donc rendu inconscient, ce traumatisme s'est manifesté, est réapparu sous la forme d'un symptôme, l'incapacité à boire, à première vue incompréhensible. Il est incompréhensible car, en même temps que l’idée intolérable est refoulée, se met en place un processus de défense pour que ce refoulé ne puisse faire retour, il faut donc que le symptôme ne ressemble pas à ce qui a été refoulé, afin qu’il ne puisse être démasqué, et d’abord par le patient lui-même. On comprend alors, qu’une fois révélée la cause de ce symptôme, c'est-à-dire parvenue à la conscience, il a pu disparaître. Le décryptage des symptômes permet donc de les faire disparaître. Cependant, cette disparition définitive suppose plusieurs conditions. Il faut d’abord revenir à l’origine du traumatisme : l’écœurement provoqué par la vue du chien de sa dame de compagnie, animal qu’elle détestait, buvant dans un verre. Par politesse, Anna O. n’a fait aucune remarque sur le moment et a gardé pour elle son dégoût. Mais ce dégoût refoulé était tellement important, qu’il s’est mué en symptôme : l’impossibilité de boire. Cette impossibilité a quand même duré six semaines ! Sous hypnose, elle a raconté l’événement et l’a en quelque sorte revécu, ce qui lui a permis de le mettre à distance et de le faire disparaître. Il en a été de même pour d’autres symptômes : à partir du moment où elle revivait sous hypnose les incidents déclencheurs, et l’émotion qui y était associée (dégoût, peur, etc.) et qu’elle mettait des mots dessus, ils pouvaient disparaître. Il fallait donc remonter à la cause première. C’est sans doute sur cette interprétation que Freud et Breuer se sépareront plus tard. En effet, je m’explique : Breuer cherchait l’incident déclencheur du symptôme hystérique dans un traumatisme affectif récent. Freud, par la suite, affirma que l’hystérie était le révélateur d’un traumatisme affectif ancien qui se trouvait réactivé à un moment donné de l’existence. Et la cause de ce traumatisme affectif ancien, Freud affirme qu’elle se trouve dans l’étiologie sexuelle infantile. En effet, on peut accorder que le symptôme hydrophobe d’Anna O. puisse disparaître à partir du moment où elle a pu verbaliser son écœurement. Mais ce qui reste inexpliqué, c’est pourquoi cet incident a provoqué en elle un tel écœurement. C’est pourquoi le refoulement, tel que défini par Freud, sera précisé dans la 2nd leçon. En fait, il s’agit plutôt ici d’une rétention. C’est ici que l’on peut bien constater la démarche analytique et théorique de Freud, lequel ne se satisfait pas de la disparition du symptôme. Après tout, c’est ce que recherche le médecin : soigner les symptômes morbides de ses patients. Freud veut aller encore plus loin.
Arrêtons-nous un instant à cette expérience. Personne n'avait encore fait disparaître un symptôme hystérique de cette manière et n'avait pénétré si profondément dans la compréhension de ses causes. Quelle découverte grosse de conséquences, si la plupart de ces symptômes pouvaient être supprimés de cette manière! Breuer n'épargna aucun effort pour en faire la preuve. Il étudia systématiquement la pathogénèse d'autres symptômes morbides plus graves. Dans presque chaque cas, il constata que les symptômes étaient, pour ainsi dire, comme des résidus d'expériences émotives que, pour cette raison, nous avons appelées plus tard traumatismes psychiques ; leur caractère particulier s'apparentait à la scène traumatique qui les avait provoqués. Selon l'expression consacrée, les symptômes étaient déterminés par les scènes dont ils formaient les résidus mnésiques, et il n'était plus nécessaire de voir en eux des effets arbitraires et énigmatiques de la névrose. Cependant, contrairement à ce que l'on attendait, ce n'était pas toujours d'un seul événement que le symptôme résultait, mais, la plupart du temps, e multiples traumatismes souvent analogues et répétés. Par conséquent, il fallait reproduire chronologiquement toute cette chaîne de souvenirs pathogènes, mais dans l'ordre inverse, le dernier d'abord et le premier à la fin; impossible de pénétrer jusqu'au premier traumatisme, souvent le plus profond, si l'on sautait les intermédiaires.
Freud fait ici une mise au point théorique. Fort de ce premier résultat, Breuer a persévéré dans cette voie, en recherchant les causes (« pathogenèse » = étude de la naissance et du développement d’une maladie) d'autres symptômes. Il s'est aperçu, que dans chaque cas, ils étaient le résultat de refoulements d'ordre affectif. En effet, un traumatisme psychique est un trouble provoqué par un choc d'ordre affectif, émotif. Et lorsque l’affect associé au choc ne peut s’exprimer (par des pleurs, des cris, une fuite, …), il reste comme « bloqué ». Or, l’émotion qui lui est associée reste vive et doit trouver une autre voie d’expression, à savoir des phénomènes somatiques.
Ainsi, les symptômes représentent les manifestations déformées, déguisées, de chocs psychiques. Ces symptômes sont en fait des paroles qui n'arrivent pas à s'exprimer, ou qui ne sont pas parvenues à s’exprimer au moment du choc affectif. Elles ont donc été, oubliées, refoulées. Les symptômes sont donc des voies détournées qu'emprunte le refoulé pour obtenir une satisfaction des souvenirs enfouis tout au fond du psychisme, ces fameux résidus mnésiques. Ces traumatismes, tout en étant inconscients puisque refoulés, sont déterminés, c'est-à-dire qu’ils sont bien en lien avec les traumatismes et vont orienter la vie consciente des personnes. On a donc ici obtenu un gain de sens : les symptômes névrotiques, en l’occurrence hystériques, ne sont pas arbitraires, mais ont une signification, signification cachée au malade comme au médecin. La cure cathartique encore ici avec Breuer permet au patient de retrouver ses motifs inconscients.
Enfin, Freud met en évidence une dernière constatation : c'est la répétition de traumatismes qui provoque les symptômes, ceux-ci sont toujours surdéterminés (action conjointe de plusieurs facteurs ou répétition du même facteur). Aussi, faut-il procéder en remontant progressivement du plus récent au plus ancien, pour espérer mettre au jour tout le refoulé. Cela peut expliquer la durée très longue des analyses, quoique que celles que menait Freud duraient au plus quelques mois.
Vous souhaiteriez sans doute d'autres exemples de symptômes hystériques que celui de l'hydrophobie engendrée par le dégoût d'un chien buvant dans un verre. Mais pour rester fidèle à mon programme, je me limiterai à très peu d'exemples. Breuer raconte que les troubles visuels de sa malade se rapportaient aux circonstances suivantes : « La malade, les yeux pleins de larmes, était assise auprès du lit de son père, lorsque celui-ci lui demanda tout à coup quelle heure il était. Les larmes l'empêchaient de voir clairement ; elle fit un effort, mit la montre tout près de son oeil et le cadran lui apparut très gros (macropsie et strabisme convergent) ; puis elle s'efforça de retenir ses larmes afin que le malade ne les voie pas. » Toutes ces impressions pathogènes, remarquons-le, dataient de l'époque où elle s'occupait de son père malade. « Une fois, elle s'éveilla, la nuit, très angoissée car le malade avait beaucoup de fièvre, et très énervée car on attendait un chirurgien de Vienne pour une opération. Sa mère n'était pas là; Anna était assise au chevet du malade, le bras droit posé sur le dossier de la chaise. Elle tomba dans un état de demi-rêve et vit qu'un serpent noir sortait du mur, s'approchait du malade pour le mordre. (Il est très probable que, dans le pré, derrière la maison, se trouvaient des serpents qui avaient déjà effrayé la malade et fournissaient le thème de l'hallucination.) Elle voulut chasser l'animal, mais elle était comme paralysée; le bras droit, pendant sur le dossier de la chaise, était « endormi », c'est-à-dire anesthésié et parésié, et, lorsqu'elle le regarda, les doigts se transformèrent en petits serpents avec des têtes de mort (les ongles). Sans doute fit-elle des efforts pour chasser le serpent avec la main droite paralysée, et ainsi l'anesthésie et la paralysie s'associèrent-elles à l'hallucination du serpent. Lorsque celui-ci eut disparu, elle voulut, pleine d'angoisse, se mettre à prier, mais la parole lui manqua, en quelque langue que ce fût. Elle ne put s'exprimer qu'en retrouvant enfin une poésie enfantine anglaise, et put alors penser et prier dans cette langue 1. » Le rappel de cette scène, sous hypnose, fit disparaître la contracture du bras droit qui existait depuis le commencement de la maladie, et mit fin au traitement.
Lorsque, bon nombre d'années plus tard, je me mis à appliquer à mes propres malades la méthode de recherche et de traitement de Breuer, je fis des expériences qui concordèrent avec les siennes.
Une dame de 40 ans environ avait un tic, un étrange claquement de langue, qui se produisit sans cause apparente. L'origine de ce tic venait de deux événements différents, qui avaient ceci de commun que, par une sorte de contradiction, elle avait fait entendre ce claquement à un moment où elle désirait vivement ne pas troubler le silence : une fois pour ne pas éveiller son enfant endormi, l'autre fois, lors d'une promenade en voiture, pour ne pas exciter les chevaux déjà effrayés par un orage. Je donne cet exemple parmi beaucoup d'autres qu'on trouvera dans les Éludes sur l'hystérie.
Freud nous donne ensuite la description de deux autres symptômes d'Anna 0.. Le premier symptôme rapporté par Freud est une douleur aux yeux. Face à son père mourant, elle a retenu ses larmes, en contractant très fort ses paupières, afin de ne pas l'inquiéter. De même, lorsqu’il lui demanda l’heure sans qu’elle ne s’y attende et qu’elle est au bord des larmes à la pensée de la fin prochaine de son père. Dans les deux cas, ses douleurs aux yeux n’ont aucune cause physiologique, l’ophtalmologiste ne décèle aucune anomalie. Au réveil de l'hypnose, elle n'a plus mal aux yeux. On peut supposer que la maladie et la mort de son père ont énormément affecté Anna O. De même, pour le second symptôme : la paralysie de son bras est liée à un traumatisme, durant un moment où elle veillait son père. Elle a une hallucination, elle voit des serpents. Cette grande frayeur l'a littéralement paralysée. Cette paralysie reviendra à chaque fois qu’elle pensera voir un serpent à la place d’un quelconque objet, pour finir par s’installer quasiment définitivement. Après en avoir parlé sous hypnose et avoir revécu en quelque sorte ce traumatisme, ce symptôme disparaît, preuve qu'il n'était dû à aucun problème d'ordre physique. Dans un article intitulé Quelques considérations pour une étude comparative des paralysies motrices organiques et hystériques (1893), Freud expliquera : « Si la conception du bras se trouve engagée dans une association d’une grande valeur affective, elle sera inaccessible au jeu libre des autres associations. Le bras sera paralysé en proportion de la persistance de cette valeur affective ou de sa diminution par des moyens psychiques appropriés. C’est la solution au problème que nous avons posé car, dans tous les cas de paralysie hystérique, on trouve que l’organe paralysé ou la fonction abolie est engagé dans une association subconsciente qui est munie d’une grande valeur affective, et l’on peut montrer que le bras devient libre aussitôt que cette valeur affective est effacée. » p.57. De la même façon, lors de cette hallucination, la terreur l’avait laissée sans voix, hormis l’anglais. Après son expression sous hypnose, elle reparle sa langue maternelle. Je reviens un instant sur sa toux (évoquée p.10), symptôme également hystérique ici. Quand elle était au chevet de son père, elle a entendu de la musique chez des voisins et a éprouvé le désir d’être là-bas. Ce désir a créé un remord en elle, un sentiment de culpabilité et donc à chaque fois par la suite qu’elle entendait de la musique, elle se mettait à tousser. Dans les Etudes sur l’hystérie, Breuer a interprété cette toux comme un spasme de la glotte, provoqué à chaque fois chez sa patiente par un scrupule. C’est pourquoi, il n’a jamais pensé qu’Anna O. simulait.
Enfin, Freud termine ce passage par un exemple tiré de sa propre expérience. Il s’agit de la première patiente qu’il a mise sous hypnose : Mme Emmy von N ... C’est une patiente âgée de 40 ans, qui souffre d’hystérie, laquelle se manifeste par des douleurs, des paralysies, un bégaiement ponctuel, des hallucinations. Cette femme a également un tic, elle claque la langue de façon intempestive à chaque fois qu’elle s’énerve, tic qui serait dû à des actes qu'elle n'aurait pas dû faire : faire du bruit, alors qu'il ne fallait justement pas en faire. Ce tic est associé à un autre, lequel consiste à crier « Ne bougez pas ! Ne dites rien ! Ne me touchez pas ! » qui se produit à chaque fois qu’elle redoute quelque chose ou que quelque chose l’effraie. C’est un peu comme une formule de protection. Ce qui nous intéresse ici c’est le « ne dites rien ! » que l’on peut relier à l’incident avec les chevaux. Dans les deux cas, il s’agissait de ne pas faire de bruit. Concernant le claquement de la langue, elle se trouvait au chevet de sa fille malade qui venait enfin de s’endormir. Epuisée, elle s’est dit qu’il ne fallait surtout pas qu’elle fasse de bruit, afin de ne pas la réveiller. Au grand effroi de Mme Emmy von N …, elle fait du bruit. Nous avons tous connu ce genre de situation : ne pas faire de bruit et justement faire tomber quelque chose ou se mettre à tousser, ou autre. Freud explique cela par le fait que nous ne soyons pas certains de pouvoir tenir cette décision, Freud appelle cela une « contre-volonté hystérique ». Dans le cas des névrosés, cette incapacité prend plus d’ampleur, car ils sont déjà dans un état anxieux pathologique. Sans compter aussi la mise en place du sentiment de culpabilité. Aussi, troublé, le psychisme de Mme Emmy von N … l'a intégré sous forme de symptôme. Freud nous explique dans les Etudes sur l’hystérie que, ces souvenirs une fois rappelés, le tic a disparu. En effet, la prise de conscience permet d'opérer une mise à distance, un détachement, qui permet de considérer les choses avec recul et de s'en libérer. Freud a noté ailleurs que cette patiente souffrait certes d’hystérie, mais également d’une névrose d’angoisse, névrose provenant d’une continence sexuelle. Ces exemples, énumérés par Freud, ont pour fonction de confirmer son interprétation : parler peut guérir.
Nous pouvons grosso modo résumer tout ce qui précède dans la formule suivante : les hystériques souffrent de réminiscences. Leurs symptômes sont les résidus et les symboles de certains événements (traumatiques). Symboles commémoratifs, à vrai dire. Une comparaison nous fera saisir ce qu'il faut entendre par là. Les monuments dont nous ornons nos grandes villes sont des symboles commémoratifs du même genre. Ainsi, à Londres, vous trouverez, devant une des plus grandes gares de la ville, une colonne gothique richement décorée : Charing Cross. Au XIIIe siècle, un des vieux rois Plantagenet qui faisait transporter à Westminster le corps de la reine Éléonore, éleva des croix gothiques à chacune des stations où le cercueil fut posé à terre. Charing Cross est le dernier des monuments qui devaient conserver le souvenir de cette marche funèbre 2. A une autre place de la ville, non loin du London Bridge, vous remarquerez une colonne moderne très haute que l'on appelle « The monument ». Elle doit rappeler le souvenir du grand incendie qui, en 1666, éclata tout près de là et détruisit une grande partie de la ville. Ces monuments sont des « symboles commémoratifs » comme les symptômes hystériques. La comparaison est donc soutenable jusque-là. Mais que diriez-vous d'un habitant de Londres qui, aujourd'hui encore, s'arrêterait mélancoliquement devant le monument du convoi funèbre de la reine Éléonore, au lieu de s'occuper de ses affaires avec la hâte qu'exigent les conditions modernes du travail, ou de se réjouir de la jeune et charmante reine qui captive aujourd'hui son propre cœur? Ou d'un autre qui pleurerait devant « le monument » la destruction de la ville de ses pères, alors que cette ville est depuis longtemps renée de ses cendres et brille aujourd'hui d'un éclat plus vif encore que jadis?
Les hystériques et autres névrosés se comportent comme les deux Londoniens de notre exemple invraisemblable. Non seulement ils se souviennent d'événements douloureux passés depuis longtemps, mais ils y sont encore affectivement attachés ; ils ne se libèrent pas du passé et négligent pour lui la réalité et le présent. Cette fixation de la vie mentale aux traumatismes pathogènes est un des caractères les plus importants et, pratiquement, les plus significatifs de la névrose. Vous allez sans doute, en pensant à la malade de Breuer, me faire une objection qui, certainement, est plausible. Tous les traumatismes de cette jeune fille provenaient de l'époque où elle soignait son père malade et ses symptômes ne sont que les marques du souvenir qu'elle a conservé de la maladie et de la mort de son père. Le fait de conserver si vivante la mémoire du disparu, et cela peu de temps après sa mort, n'a donc, direz-vous, rien de pathologique ; c'est au contraire un processus affectif tout à fait normal. - Je vous l'accorde volontiers : chez la malade de Breuer, cette pensée qui reste fixée aux traumatismes n'a rien d'extraordinaire. Mais, dans d'autres cas, ainsi pour ce tic que j'ai traité et dont les causes remontaient à quinze et à dix ans dans le passé, on voit nettement que cette sujétion au passé a un caractère nettement pathologique. Cette sujétion, la malade de Breuer l'aurait probablement subie aussi, si elle ne s'était pas soumise au traitement cathartique peu de temps après l'apparition de ses symptômes.
Freud opère une synthèse de tous les cas qu’il vient d’évoquer et énonce un premier résultat : « les hystériques souffrent de réminiscences. » Arrêtons-nous un instant sur cette idée, idée d’ailleurs déterminante dans la théorie psychanalytique. Que veut-il dire ? D’après ce que nous avons déjà étudié, nous savons que les hystériques, et plus largement les névrosés, souffrent de symptômes qu’ils ne peuvent s’expliquer et qui n’ont pas de cause physiologique. Freud les attribue ici à des réminiscences. Si l’on prend la définition du Larousse, la réminiscence consiste, je cite, en le « retour à la conscience claire de souvenirs non accompagnés de reconnaissance ». On peut donc comprendre que l’hystérique est sous l’emprise de souvenirs dont il ne réalise pas que ce sont des souvenirs et qui donc continuent de le travailler comme si le temps n’était pas passé, et tout cela de manière inconsciente évidemment, sinon le symptôme n’en serait plus un. Pour nous préciser et clarifier cette idée, Freud fait une comparaison entre les symptômes et les actes commémoratifs. Les commémorations représentent le rappel de choses passées et ont pour but de ne pas les oublier, tout en sachant qu’elles sont passées justement, sinon il n’y aurait pas de risque de les oublier ... Les symptômes jouent également ce rôle : ils laissent une trace en nous de certains événements. Cependant, comme nous savons que les événements, que nous commémorons, appartiennent au passé, d'une certaine façon, ils ne nous touchent plus. Nous édifions des monuments qui à la fois nous rappellent le passé et qui en même temps nous signifient qu’il s’agit du passé. L’exemple que Freud prend des deux Londoniens prête à sourire, on ne peut s’empêcher de penser qu’ils sont complétement déconnectés, ne faisant plus la différence entre passé et présent, ils nous semblent décalés. Mais c’est justement ce que sont les symptômes névrotiques, ils sont déconnectés, décalés, ils sont « fixés » c’est pour cela qu’ils nous semblent si étranges, et d’autant plus étranges que les patients ne savent pas qu’il s’agit justement de réminiscences. Les symptômes hystériques révèlent ainsi que les malades sont toujours affectés par des événements passés, qui les ont beaucoup marqués, mais dont ils ne se souviennent pas et qui peuvent avoir eu lieu loin dans leur passé. Les hystériques sont incapables de les oublier, tout au moins, leur psychisme ne les oublie pas. Mais ils ont été refoulés, niés, ensevelis. Refouler ne veut pas dire supprimer, mais empêcher : la conscience, ou la censure entre la conscience et l’Inconscient, leur refuse l’accès, sans doute parce que trop douloureux, insoutenables ou humiliants, mais qui continuent à travailler le présent. En fait, la névrose est une maladie qui met en évidence notre incapacité à oublier. Cependant, les souvenirs traumatiques ne reviennent pas tels quels, parce que inacceptables, mais de façon déguisée c’est-à-dire sous la forme de symptômes. Freud prend ensuite les devants à propos du cas d’Anna O., dans la mesure où celle-ci aurait souffert d’hystérie très rapidement après avoir refoulé les traumatismes liés à la maladie et à la mort de son père. Ces traumatismes auraient donc été relativement récents, qu’elle en souffre et développe des symptômes serait relativement normal. Ici Freud n’ose pas se prononcer car soit Anna O. n’était pas hystérique, ce que nous aurions bien du mal à croire et dans ce cas ses symptômes sont tout à fait pathologiques ; soit elle était bien hystérique et la maladie et le décès de son père ont été « l’occasion » pour sa maladie de se déclencher, ce qui laisse supposer que comme tous les hystériques, elle souffrait de réminiscences bien plus anciennes. On ne peut s’empêcher de penser qu’Anna O. avait mal surmonté son Complexe d’Œdipe … Freud reprend le cas de sa malade pour justifier son explication par la réminiscence, car Mme Emmy von N … souffrait d’hystérie depuis au moins 10-15 ans, au moment où Freud commence à la soigner. Revenons un instant sur le traitement cathartique évoqué par Freud. Il s’agit d’un traitement qui permet de délivrer, de purifier le patient de ses « souvenirs » inconscients qui sont à l’origine des symptômes grâce à la réappropriation de ces souvenirs, et cette réappropriation s’effectue par la parole, par le fait de verbaliser, d’objectiver, de mettre à distance, tout cela sous hypnose.
Nous n'avons parlé jusqu'ici des symptômes hystériques que dans leurs relations avec l'histoire de la vie des malades. Mais nous avons encore à considérer deux autres circonstances dont Breuer fait mention et qui nous feront saisir le mécanisme de l'apparition de la maladie et celui de sa disparition. Insistons d'abord sur ce fait que la malade de Breuer, dans toutes les situations pathogènes, devait réprimer une forte émotion, au lieu de la laisser s'épancher par les voies affectives habituelles, paroles et actes. Lors du petit incident avec le chien de sa gouvernante, elle réprima, par égard pour celle-ci, l'expression d'un dégoût intense; pendant qu'elle veillait au chevet de son père, son souci continuel était de ne rien laisser voir au malade de son angoisse et de son douloureux état d'âme. Lorsque plus tard elle reproduisit ces mêmes scènes devant son médecin, l'émotion refoulée autrefois ressuscita avec une violence particulière, comme si elle s'était conservée intacte pendant tout ce temps. Bien plus, le symptôme qui avait subsisté de cette scène présenta son plus haut degré d'intensité au fur et à mesure que le médecin s'efforçait d'en découvrir l'origine, pour disparaître dès que celle-ci eut été complètement démasquée. On put, d'autre part, constater que le souvenir de la scène en présence du médecin restait sans effet si, pour une raison quelconque, il se déroulait sans être accompagné d'émotions d' « affects ». C'est apparemment de ces affects que dépendent et la maladie et le rétablissement de la santé. On fut ainsi conduit à admettre que le patient, tombé malade de l'émotion déclenchée par une circonstance pathogène, n'a pu l'exprimer normalement, et qu'elle est ainsi restée « coincée ». Ces affects coincés ont une double destinée. Tantôt ils persistent tels quels et font sentir leur poids sur toute la vie psychique, pour laquelle ils sont une source d'irritation perpétuelle. Tantôt ils se transforment en processus physiques anormaux, processus d'innervation ou d'inhibition (paralysie), qui ne sont pas autre chose que les symptômes physiques de la névrose. C'est ce que nous avons appelé l'hystérie de conversion. Dans la vie normale, une certaine quantité de notre énergie affective est employée à l'innervation corporelle et produit le phénomène de l'expression des émotions, que nous connaissons tous. L'hystérie de conversion n'est pas autre chose qu'une expression des émotions exagérée et qui se traduit par des moyens inaccoutumés. Si un fleuve s'écoule dans deux canaux, l'un d'eux se trouvera plein à déborder aussitôt que, dans l'autre, le courant rencontrera un obstacle.
Dans ce passage, Freud nous explique que, en plus de relier les symptômes à la vie du patient pour comprendre l’hystérie, cette dernière est liée à une retenue (première circonstance) inconsciente de la part du sujet, ce que Freud appelle aussi de la rétention ou de la défense. Anna O., dans les deux exemples cités, s'est retenue, n'a pas pu exprimer son dégoût ou sa souffrance, elle n’a pu « abréagir », selon la terminologie freudienne. Les symptômes hystériques sont des affects qui ont agi comme des traumatismes sur le psychisme et qui se sont convertis en symptômes somatiques durables quand ces affects n’ont pu s’exprimer. Ces émotions "rentrées" n'ont pas disparu, elles ont été refoulées telles quelles dans l'Inconscient, c’est-à-dire qu’elles ont gardé toute leur vivacité. Elles demeurent donc actives, mais comme elles n’ont pu s’exprimer telles quelles, elles vont prendre la voie de symptômes, symptômes qui ne vont pas forcément ressembler aux émotions retenues, c’est pour cela qu’ils sont difficiles à décrypter, ils reviennent un peu comme masqués. Aussi, pour que les symptômes puissent disparaître, sachant que les symptômes sont les substituts de ces émotions qui n'ont pu s'exprimer, il faut que ces émotions s'expriment sous la forme qu'elles auraient dû prendre, au moment où elles ont été vécues, pour qu'elles puissent disparaître définitivement, et c’est la deuxième circonstance qui permet de parvenir à la guérison. Une fois le souvenir de ces incidents complètement évoqué, les symptômes disparaissent. S’ils ne disparaissent pas complétement ou resurgissent, c’est parce que la « purification » n’a pas été complète. D’ailleurs, plus le patient se rapproche de ses émotions initiales, plus les symptômes s’expriment de façon importante. Freud explique dans les Etudes sur l’hystérie, que l’analyse s’opère un peu de façon concentrique : le cercle le plus large, celui de la quasi conscience est celui qui offre le moins de résistance. Plus on s’approche du « noyau », ou de l’élément déclencheur, plus le patient oppose de résistance inconsciente (nous y reviendrons), plus son attitude est réactive. Le fait de « raviver », de redonner vie, c’est-à-dire de vivre à nouveau ces émotions représente ainsi la seconde circonstance favorable à la guérison, c’est-à-dire à la suppression des symptômes. Ainsi le procédé cathartique «supprime les effets de la représentation, qui n’avait pas été primitivement abréagie (c’est-à-dire libérée en réagissant vers l’extérieur de soi), en permettant à l’affect coincé de celle-ci de se déverser verbalement ; il amène cette représentation à se modifier par voie associative en l’attirant dans le conscient normal (sous hypnose légère) ou en la supprimant par suggestion médicale, de la même façon que, dans le somnambulisme, on supprime l’amnésie. » Etudes sur l’hystérie p.12. La névrose s'installe lorsque nous ne pouvons exprimer ce que nous ressentons et que donc nous refoulons. Le refoulé peut s'exprimer sous la forme de symptômes physiques, c'est ce que Freud appelle l'hystérie de conversion : le conflit psychique s'exprime par des symptômes corporels, somatiques comme nous l’avons vu. Le refoulé peut aussi s’exprimer sous forme d’angoisse. Dans l'hystérie d'angoisse, celle-ci se manifeste par exemple par des phobies. Il est à noter qu’il y a angoisse non pas vis-à-vis de choses extérieures comme cette angoisse semble le manifester, mais vis-à-vis de soi-même, plus précisément de ce qui a été refoulé. Dans les deux cas, l'hystérie représente une façon exagérée d'exprimer des émotions. Le langage courant d’ailleurs l’exprime très bien en disant à propos d’une personne qui réagit exagérément : « elle est complétement hystérique ». Dans cette remarque, on signifie que l’on trouve sa réaction excessive. Le passage se termine par une image, celle de deux canaux d’un même fleuve (le sujet) : si l’un des deux, ici la conscience rencontre un obstacle qu’elle ne peut dépasser, elle va se décharger dans l’Inconscient au travers des expressions somatiques : le trop-plein de la conscience se déverse, ou se convertit, dans le corps.
Vous voyez que nous sommes sur le point d'arriver à une théorie purement psychologique de l'hystérie, théorie dans laquelle nous donnons la première place au processus affectif. Une deuxième observation de Breuer nous oblige à accorder, dans le déterminisme des processus morbides, une grande importance aux états de la conscience. La malade de Breuer présentait, à côté de son état normal, des états d'âmes multiples, états d'absence, de confusion, changement de caractère. A l'état normal, elle ne savait rien de ces scènes pathogènes et de leurs rapports avec ses symptômes. Elle les avait oubliées ou ne les mettait pas en relation avec sa maladie. Lorsqu'on l'hypnotisait, il fallait faire de grands efforts pour lui remettre ces scènes en mémoire, et c'est ce travail de réminiscence qui supprimait les symptômes. Nous serions bien embarrassés pour interpréter cette constatation, si l'expérience et l'expérimentation de l'hypnose n'avaient montré le chemin à suivre. L'étude des phénomènes hypnotiques nous a habitués à cette conception d'abord étrange que, dans un seul et même individu, il peut y avoir plusieurs groupements psychiques, assez indépendants pour qu'ils ne sachent rien les tins des autres. Des cas de ce genre, que l'on appelle «double conscience », peuvent, à l'occasion, se présenter spontanément à l'observation. Si, dans un tel dédoublement de la personnalité, la conscience reste constamment liée à l'un des deux états, on nomme cet état : l'état psychique conscient, et l'on appelle inconscient celui qui en est séparé. Le phénomène connu sous le nom de suggestion post-hypnotique, dans lequel un ordre donné au cours de l'hypnose se réalise plus tard, coûte que coûte, à l'état normal, donne une image excellente de l'influence que l'état conscient peut recevoir de l'inconscient, et c'est d'après ce modèle qu'il nous est possible de comprendre les phénomènes observés dans l'hystérie. Breuer se décida à admettre que les symptômes hystériques auraient été provoqués durant des états d'âmes spéciaux qu'il appelait hypnoïdes. Les excitations qui se produisent dans les états hypnoïdes de ce genre deviennent facilement pathogènes, parce qu'elles ne trouvent pas dans ces états des conditions nécessaires à leur aboutissement normal. Il se produit alors cette chose particulière qui est le symptôme, et qui pénètre dans l'état normal comme un corps étranger. D'autant plus que le sujet n'a pas conscience de la cause de son mal. Là où il y a un symptôme, il y a aussi amnésie, un vide, une lacune dans le souvenir, et, si l'on réussit à combler cette lacune, on supprime par là même le symptôme.
Freud tire maintenant des conclusions de sa présentation sur l'hystérie. Cette dernière aurait une origine complétement psychique et non organique. Elle ne serait due à aucune lésion physique ou physiologique, et n’aurait pas non plus à voir avec une quelconque déficience mentale. Dans les Etudes sur l’hystérie, Freud réaffirme que l’hystérie n’est absolument pas liée à une quelconque forme de débilité ou de dégénérescence. Ses patientes sont souvent très intelligentes et hautement morales. Mme Emmy von N … était une femme intelligente, dirigeante d’une entreprise industrielle. C’était une femme de tête. En cela, Freud s’oppose au point de vue de la psychologie classique, en particulier à celui de Janet qui affirme que l’hystérie est due à un rétrécissement du champ de la conscience, à une « diminution de production psychique » et à une désagrégation du moi. Une des difficultés de la psychanalyse consiste justement à accepter l’idée que peu importe si ce que dit le patient est vrai de manière objective, ce qui compte c’est de lui permettre d’exprimer, de mettre à distance et donc de prendre conscience de ce qui pour lui fait vérité et qui touche chez lui à un réel psychique. L’hystérie aurait donc « plus simplement » pour origine un ou des traumatisme(s) affectif(s) qui aurai(en)t été enfoui(s) en nous.
Freud évoque alors l’importance des états de conscience dans « le déterminisme des processus morbides ». Arrêtons-nous un instant sur cette dernière expression. Celle-ci signifie en effet que notre psychisme fonctionne suivant un enchaînement de causes et d’effets, ce qui est la définition même du déterminisme. Un peu comme si une fois le traumatisme provoqué, le symptôme devait être « enclenché », développé suivant une loi mécanique. Nous rappelons que Freud pense que la psychanalyse est une science et que, comme telle, elle doit obéir à des lois. De fait, dans cette première leçon, il nous a décrit les processus mis en œuvre dans l’hystérie. Pourquoi qualifie-t-il ces processus de morbides ? Car ils provoquent une véritable maladie, et en ce sens entravent le cours « normal » de l’existence. Freud nous rappelle ensuite que Breuer avait noté différents états de conscience chez sa patiente. En effet, Anna O., même avant d’être malade, était très sujette à la rêverie et était même capable de rêvasser, de se raconter des histoires tout en se montrant bien présente avec les gens qui l’entouraient. Ces états semi-conscients, Breuer les a appelés états hypnoïdes. Selon lui, cette tendance à la rêverie constituait un facteur favorisant l’hystérie, car état pouvant provoquer des hallucinations. Quand elle a commencé à avoir des « crises » hystériques, il semblait qu’elle basculait dans un autre état, un peu comme si sa personnalité se dédoublait. Dans ces états mentaux confus, elle perdait la conscience du réel, à tel point que lorsqu’elle sortait de ces états, elle en avait totalement perdu le souvenir. Quoique parfois, elle devait s’en souvenir puisque lorsqu’on lui rappelait, elle disait parfois qu’elle s’était mal conduite et aurait pu, par un effort de volonté, éviter ces « dérapages ». Quoiqu’il en soit, cela a permis à Breuer, mais surtout à Freud de postuler l’idée d’un inconscient psychique. En effet, le malade n’est pas évanoui, il n’a pas perdu conscience, mais il est comme dans une autre dimension. Celle-ci peut d’ailleurs être provoquée par l’hypnose. Avec Mme Emmy von N …, Freud a souvent utilisé l’hypnose pour tenter de la soigner, et notamment il utilisait l’hypnose pour lui intimer l’ordre, ce que l’on appelle aussi la suggestion, de ne plus avoir peur de telle ou telle chose, et cela marchait … Freud peut donc émettre l’idée que le psychisme humain ne forme pas un ensemble unique et transparent à lui-même. Bien au contraire, une grande partie de nous-mêmes semble nous échapper. C'est ce que Freud appelle l'Inconscient psychique.
Ainsi, Freud a énoncé en 1895 une 1ère topique, constituée de 3 qualités :
- La conscience : il y a conscience, lorsqu'il y a perception de la réalité extérieure. La conscience ne représente qu'une fonction particulière des processus psychiques, et non plus l'unique fonction de ces processus.
- Le préconscient : il contient des faits conscients latents, qui ne sont pas immédiatement présents à la conscience, mais qui peuvent être réactivés et qui peuvent donc devenir conscients. C’est le cas notamment des souvenirs. Ils ne sont pas tous présentement dans notre conscience, mais sont accessibles par cette dernière.
- l'Inconscient : il est hors d'atteinte de la conscience. Il contient les faits psychiques refoulés, dont le but justement est de ne jamais être réactivés.
C'est pourquoi, le refoulé ne devant pas réapparaître, le malade est bien en difficulté pour expliquer l'origine de ses symptômes. Cependant, pour faire disparaître ces symptômes, il faut à tout prix en retrouver l'origine, d'où la cure de psychanalyse et le travail de réminiscence.
Je crains que cette partie de mon exposé ne vous paraisse pas très claire. Mais soyez indulgents. Il s'agit de vues nouvelles et difficiles qu'il est peut-être impossible de présenter plus clairement, pour le moment tout au moins. L'hypothèse breuerienne des états hypnoïdes s'est d'ailleurs montrée encombrante et superflue, et la psychanalyse moderne l'a abandonnée. Vous apprendrez plus tard tout ce qu'on a encore découvert derrière les états hypnoïdes de Breuer. Vous aurez aussi sans doute, et à bon droit, l'impression que les recherches de Breuer ne pouvaient vous donner qu'une théorie incomplète et une explication insuffisante des faits observés. Mais des théories parfaites ne tombent pas ainsi du ciel, et vous vous méfieriez à plus forte raison de l'homme qui, dès le début de ses observations, vous présenterait une théorie sans lacune et complètement parachevée. Une telle théorie ne saurait être qu'un produit de la spéculation et non le fruit d'une étude sans parti pris de la réalité.
Freud termine cette 1ère leçon en évoquant le fait que l’idée des états hypnoïdes a été depuis abandonnée. De fait, les traumatismes n'ont pas lieu uniquement lorsque nous sommes dans une sorte d'état second et ils ne sont pas dus qu’à des hallucinations comme en était convaincu Breuer (hystérie hypnoïde). Pour Freud, l’origine de l’hystérie, comme de toute névrose se trouve davantage dans le refoulement (hystérie de rétention : abréaction impossible ou hystérie de défense : refoulement de choses que le malade veut oublier). Freud en profite également pour mettre en valeur la naissance d'une science, qui en tant que telle rencontre des obstacles, des impasses, tâtonne, ce qui la pousse à continuer à chercher. En effet Freud pense, comme nous l’avons souligné à plusieurs reprises, que la psychanalyse est une science qui comme telle demande du temps pour s’élaborer et qu'elle s'appuie sur l'expérience. La psychanalyse n'est pas simplement le fruit d'une réflexion théorique.
Il est à noter que Freud abandonnera l’hypnose et donc la méthode cathartique pour plusieurs raisons. Elle est d’abord peu efficace, car elle ne fait disparaître les symptômes que provisoirement. Freud a en effet remarqué qu’elle marche assez bien pour traiter l’hystérie, mais pas sur les névroses d’angoisse. Mais elle n’agit pas sur les causes réelles de l’hystérie, si bien que de nouveaux symptômes peuvent apparaître. Même plus, elle peut dissimuler la résistance et le refoulement, et donc retarder la guérison. C’est pourquoi d’ailleurs Freud recherchera une cause dans l’apparition des névroses et qu’il la trouvera dans l’étiologie sexuelle. De plus, elle ne fonctionne pas sur tous les patients. Elle est par ailleurs violente car elle met le patient complétement à la merci du psychanalyste, d’autant qu’au réveil de l’hypnose il ne se souvient de rien. Il va la remplacer par une technique de « concentration » : le patient doit s’allonger, fermer les yeux, se concentrer et laisser libre cours à sa parole. C’est cette méthode d’ « association libre » qui deviendra la véritable méthode de la psychanalyse. Freud affirmera même dans les Contribution à l’histoire du mouvement psychanalytique, que la psychanalyse naîtra quand elle abandonnera l’hypnose. On peut donc bien comprendre pourquoi Freud a revendiqué, au début de cette 1ère leçon, la paternité de la psychanalyse.
Ouvrage cité : Etudes sur l’hystérie, Freud et Breuer, PUF, 1978.
1 L. c., p. 30.
2 Ou la reproduction postérieure d'un tel monument. Le nom Charing signifie, d'après le Dr Jones: Chère Reine.