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Les livres de l'Université Populaire d'Évreux


 Les Révolutions russes de 1917

Conférence proposée par André ALBERTINI - le 15 mai 2015

  • Vendredi 05/06/2015
  • 02:19
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Est-il vraiment nécessaire aujourd'hui, après la disparition de l'URSS, de revenir sur la Révolution de 1917 dont elle est issue ?
    Je crois quand même que oui.
     Je ne suis pas historien, alors je m'en remets au grand historien anglais Hobsbawm qui écrivait ceci dans un recueil d'articles paru en 2008 : « Les grandes révolutions de masse éclatant depuis la base sont en un sens des «  phénomènes naturels »- et la Russie de 1917 était probablement le plus impressionnant exemple historique d'une révolution de ce type ».
     Alors on peut y aller....

I / LA RUSSIE ETERNELLE EN QUESTION

I / DES PROBLEMES DE PLUSIEURS AGES

    Juste quelques rappels un peu lointains qui peuvent servir et alléger la suite.
    L'Empire russe en 1917 est grand....quarante fois la France. Il s'étend en Asie et en Europe. Mais c'est d'abord une puissance européenne. Ce n'est pas un hasard si l'épicentre de la révolution de 1917 se situe à Pétrograd, à la lisière ouest de l'empire, en bordure de la Baltique.
    C'est un Empire avec un...empereur ( tsar:XVIème, Ivan le Terrible ). Un empire colonial aussi,,, à la différence de la France, en continuité territoriale avec la métropole.
    Il yaura d'abord (Xème/XIème ) un premier Etat russe autour de Kiev, puis un deuxième autour de Moscou. Entre XIIème et XVème les russes sont soumis aux mongols et tatars, donc coupés au moins deux siècles de l'Europe.D'où sans doute aussi deux siècles de retard dans le développement de leur état.
    Ils se libèrent (XVIème Ivan le Terrible). Dès le XVIIème leur influence touche le Pacifique et au XVIIIème c'est l'ouverture sur la Baltique ( Pierre le Grand ) et la mer Noire ( Catherine II ). Ar XIXème c'est l'expansion coloniale moderne vers l'Asie centrale et le Caucase notamment.
    Ce rappel nous permet de comprendre l'un des problèmes russes de 1917, celui du grand nombre de peuples non russes, les allogènes, environ 40 M. de sujets du tsar sur170 M . Soit englobés dans l'avancée des paysans russes à la recherche de terre, soit soumis pae l'Etat colonial.
    Toutefois, à deux reprises la puissance russe est mise en échec et cela révèle ses faiblesses.En 1855 avec la guerre de Crimée ( contre Turquie, France, Angleterre ) et en1905, ce qui surprend beaucoupace au Japon.
    L'Etat tsariste s'en remet, c'est d'abord l'alliance franco-russe de 1893 puis l'entrée dans la Triple Entente face à l'Allemagne et l'Autriche.

     Deuxième problème, c'est essentiel, l'Empire russe est un vaste empire paysan. Une paysannerie toujours dominée, pressurée et toujours en révolte.C'est impressionnant.
     A partir du XIIème , à l'inverse des évolutions occidentales, les paysans russes connaissent le servage. Il devient une institution essentielle au XVIIème. Il est aboli en 1861 avec Alexandre II. Cela ne change pas trop leur sort en fait ( remboursement 49 ans à l'Etat du prix de leur lot).
     Ainsi,deuxième grand problème, il subsiste , jusqu'au début du XXème siècle un énorme et profond problème paysan. Les paysans veulentl la terre des immenses domaines souvent mal gérés par les grands propriétaires. Jusqu'à la révolution de 1917 comprise, l'histoire russe est rythmée par de véritables «  guerres paysannes » (XVI, XVIII, XIXèmes ).

    Troisième problème. N'exagérons pas l'aspect « grand village » de la Russie. A partir de Pierre le Grand le modernisme uoccidental fait une percée industrielle.Au XIXème on peut parler d'une bougeoisie industrielle et vers1880 ( à trente ans seulement de la guerre et la révolution) de révolution industrielle, avec cependant forte intervention de l'état et capitaux étrangers surtout français.
    Finalement, en1914/17, il y a un prolétariat industriel russe de l'ordre de 3à4 M. de personnes ( environ 18 M. de salariés ).Cest peu pour 170 M. d'hts. Mais en chiffre absolu c'est d'autant plus important qu'il y a concentration en grosses usines ( Poutilov à Pétrograd 13 000 ouvriers ) . Ce prolétariat travaille et vit dans des conditions très dures. La Russie connait donc aussi un problème ouvrier.
    En schématisant on peut dire qu'en France en 1789 il y avait problème paysan, mais pas encore problème ouvrier. En Russie les deux se posent en même temps.
   Ceux qui vont vouloir changer,voire révolutionner la Russie, devront réfléchir à partir de cette cojonction de problèmes.


2 / QUELLE REVOLUTION ?

    Alors quelle révolution ? Au XVIIIème la Russie est touchée par les idées des Lumières.Quelques nobles sont même enthousiamès par 1789. Catherine II les calme vite puis la Russie devient élément majeur de la Sainte Alliance contre-révolutinnaire en Europe. Il y aura bien en décembre 1825 un soulèvement d'officiers, les  «  décaéristes » mais vite écrasé.
    Malgré tout, au XIXème, l'intelligenstia libérale et critique s'étoffe ( ex : Tchernychevski )
Apparaît alors un mouvement socialisant, le populisme. Il place ses espoirs révolutinnaires essentiellement dans la paysanerie.Son action est à l'occasion très pacifique et prèdicatrice ou alors terroriste ( Alexandre II tué dans un attentat ; complot préparé contre AlexandreIII, frère de Lénine impliqué et exécuté en1887 ).
    Avec le développement industriel il y a assez tôt influence des idées marxistes qui lient révolution et classe ouvrière. D'abord un peu «économiste » le mraxisme devient plus politique avec Plékhanov , appuyé par Oulianov ( Lénine ), qui écrit en 1899 « Le développement du capitalisme en Russie »..
    En 1898 c'est la création du part isocial-démocrate russe . Il y a débats. Lénine écrit «  Que faire ? » en 1902. Il préconise un parti d'avant garde , pas forcément nombreux, encadré par des « révolutionnaires professionnels »,discipliné et centralisé, assurant conscience politique et unité du prolétariat. Pour Lénine, dans un pays retardataire comme la Russie, seul un tel parti peut conduire la classe ouvrière au pouvoir, y compris si nécessaire par l'insurrection.
    A son congrès de 1903, le parti social-démocrate ( POSDR ) se divise en deux tendances. Ceux qui suivent Lénine ( majoritaires : bolchéviks ), ceux qui en restent à un grand parti divers et rassembleur, comme en Allemagne par exemple,. (minoritaires:menchéviks )Finalement en 1912 deux partis distincts sont constitués.
    Par ailleurs, en1902 se constitue le parti Socialiste-Révolutionnaire, héritier du populisme ( rôle majeur de la paysannerie ).
    En 1905 chacun pourra passer aux travaux pratiques : c'est la révolution, la «  répétition générale » dira-t-on avec le recul .
     Il y a dépression éconmique les grèves se multiplient dès 1903. En janvier 1905 une manifestation pacifique est réprimée par l'armée à St.Petersbourg,il y a des centaines de morts. C'est un coup fatal pour la vénération traditionnelle à l'égard du tsar. En plus il y a la défaite militaire face au Japon.
     Le tsar doit concéder une Douma législative par le « Manifeste du 30 octobre ». Une partie de la bourgeoisie y adhère : les « Octobristes ». Une frction un peu plus radicale constitue le part KD ( constitutionnel-démocrate ou cadet ) Le mouvement va encore durer : grèves,jacqueries,mutineries ( Potemkine ).
    Il se structure et s'organise en soviets ( conseils ) parmi les ouvriers,marins, cheminots,etc.A St.Pétersbourg un pouvoir politique s'installe, le Soviet de St.Petersbourg, dominé par les menchéviks et présidé par Trotski. A Moscou une insurrection est déclenchée.
    Tout sera écrasé par l'armée . Les acquis d'un moment deviennent lettre morte ( ex : libertés syndicales ) , la Douma est dissoute quand le tsar en décide.Mais tous les problèmes évoqués retent entiers.

    Les partis tirent les leçons de l'échec de 1905. On a là tous les protagonistes, comme partis , de 1917.
    Les SR se divisent. Une fraction modérée, dont Kérenski ( qui siège aussi à la Douma ) , constitut un groupe travailliste. Les autres se divisent en populistes et maximalistes. Disons tout de suite qu'en 1917 certains, dits SR de gauche, suivront les bolchéviks. Les anarchistes ne sont pas très nombreux mais ont souvent une grosse influence dans les syndicats ou les coopératives.
    Quant aux deux partis socialistes, menchévik et bolchévik, leurs conclusions, après 1905 sont très différentes.
     Les menchéviks, dont Plékhanov,, estiment prématuré de penser au socialisme, notamment parce qu'on ne peut pas compter pour cela sur les paysans. De plus il ne faut pas effrayer la bourgeoisie mais l'aider à renverser le tsarisme. Pus tard, le prolétariat, appuyé sur des soviets, pourra envisager le socialisme.
     Côté bolchévik, Lénine précise ses idées dans «  Deux tactiques de la social-démocratie dans la révolution démocratique », en1906.Nous le notons pour la suite, mais comme souvent Lénine est alors isolé dans cette façon de penser. Pour lui, certes c'est une révolution bourgeoise qui est à l'ordre du jour. Mais , en Russie , la bourgeoisie n'a ni la force ni la volonté ( et de plus a peur du prolétariat ) de briser le tsarisme. C'est donc à la classe ouvrière et à la paysannerie d'être à l'initiative pour la contraindre à le faire. Une fois le tsarisme renversé, une «  dictature révolutionnaire et démocratique du prolétariat et de la paysannerie » permettra de passer à l'étape d'une république socialiste. Mais ce ne sera possible que lorsque la Russie arriérée pourra s'adosser à une Europe plus avancée où la classe ouvrière aura pris le pouvoir.Tout cela suppose pour la Russie un  parti tel que défini dans « Que fare ». Quant aux soviets ils auront un rôle à jouer comme embryon d'un Etat de dictature du prolétariat
    A défaut de nouvelle révolution,survient un autre événement du type accélérateur de l'histoire : la guerre.
     C'est un quatrième problème  mais qui aggrave tous les autres, c'est un catalyseur qui jouera aussi son rôle dans l'éclatement de la révolution et les deux phénomènes historiques vont évoluer inséparablement, en interaction étroite.





3 /LA GUERRE

    Donc la Russie entre en guerre au sein de la Triple Entente en août 1914, face aux Empires Centraux ( All.et Aut.Hong.) qui sont alliés avec l'Empire turc qui contôle les détroits vers la Méditerranée, essentiels pour la Russie.
    La guerre n'est pas courte comme on le pensait.La Russie n'a pas les moyens de mener une guerre d'usure. Elle ne peut faire face à la fois à l'effort de guerre et aux besoins de l'arrière. D'où pénuries,inflation des prix,tensions sociales ; plus d'un million de grévistes en 1916. En même temps échecs militaires : pertes humaines et recul territorial. Le calcul d'une guerre pour consolider le régime et rassembler le peuple s'écroule.
    Le pouvoir est dépassé surtout que le tsar a voulu prendre lui-même le Haut commandement des armées. Il est déconsidéré par les échecs,tandis qu'a Pétrograd c'est la catastrophe Raspoutine. Il est assassiné. Son corps est repêché dans la Néva le 1er janvier 1917. Une année 1917 agitée commençait...
     Devant le désastre la Douma s'agite et il y a de la révolution de palais dans l'air. On pense à remplacer Nicolas II . D'autre part l'opposition illégale, surtout socialiste,est amenée à prendre position sur la guerre.
   Les menchéviks veulent avant tout défendre le pays ,même si cela renforce le tsar, ce sont les social-patriotes. Les travaillistes avec Kérenski sont des « défensistes », ils entendent combiner guerre de défense et lutte contre le tsarisme .
    Autre position, celle des internationalistes. Avec des nuances, ce sont les bolchéviks , une partie des menchéviks avec Trotski, quelques SR et les anarchistes. Pour eux tous les gouvernements sont responsables de la guerre, il faut transformer cette guerre impérialiste en guerre révolutonnaire.

   En tout cas, pour le moment , la Russie, après deux ans et demi de guerre, est une nouvelle fois, comme régulièrement depuis la fin du XIXème siècle, en ébullition générale. Grèves,difficultés de vie, fatigue de la guerre, mécontentement dans les campagnes. Mécontentement aussi des millions de soldats mobilisés,surtout des paysans qui en ont assez de la guerre et d'être toujours traités comme des serfs par les officiers.
    Bref, c'est explosif. Comme l'indique un historien la Russie en guerre ressemble à «  une société de sables mouvants », « entrée en révolution » bien avant 1917.  


II/ LA REVOLUTION DE FEVRIER 1917


1/ LA CHUTE DU TSARISME

                         journées de février

    Dans le climat évoqué,le 20 février la tension monte d'un cran à Pétrograd. Suite notamment à des mesures de rationnement et au licenciement de milliers d'ouvriers aux usines Poutllov.
    Le 23 une manifestation s'organise, d'ouvrières ( journée internationale des femmes), employées, étudiantes aussi.Elle gagne le centre ville. Des ouvriers des faubourgs industriels (Viborg) rejoignent le cortège. Autrement dit la classe ouvrière entre en scène. La journée est improvisée .  Personne ne pense à une révolution.
    Le 24 presque toutes les usines sont en grève. Les ouvriers déferlent  en masse.
Cela surprend.

     Le 25 la grève est générale.On crie « A bas le tsar , A bas la guerre ». Les questions sont clairement posées. Des bolchéviks ,après hésitations, étaient déjà présents le 23. Cette fois ils sont les principaux organisateurs des grèves et cortèges. On fraternise même avec les Cosaques.
    Le tsar exige de faire cesser les désordres par la force.
    Le 26 nouveau cortège ouvrier des faubourgs vers le centre. Les officiers ordonnent le feu : plus de 150 morts.Deux régiments d'élite se mutinent et incarcèrent leurs officiers. Soldats et ouvriers fraternisent. On distribue des fusils.
    Les ministres ont disparu. L'ordre politique ancien s'est effondré. Les journées étaient bien révolutinnaires.
    Restait à savoir où allait aller cette révolution.
    Elle s'organise malgré l'absence pour cause d'exil de beaucoup de leaders révolutionnaires.

                          Le double pouvoir

   Dès le 27 février , s'inspirant de 1905, des militants politiques appellent ouvriers et soldats à élire des représentants. Ils vont constituer le « Soviet des députés ouvriers et soldats de Petrograd ». Il se réunit au palais de Tauride .Il compte plusieurs centaines de membres. Son comité exécutif est constitué de dirigeants de tendances diverses, surtout de menchéviks et de SR.
    En même temps des députés de la Douma envisagent la formation d'un gouvernement. Leur objectif, en ce tout début de la révolution est tout à fait opposé à celui du Soviet. Pour eux il s'agit de rétablir l'ordre . Pour le Soviet il s'agit d'assurer le développement de la révolution.
     Les représetants de la Douma mettent sur pied leur gouvernement, le Gouvernement Provisoire. C'est un gouvernement à majorité libérale,un gouvernement bourgeois, essentiellement constitué de membres du parti KD. On y trouve cependant Kérenski, travailliste,par ailleurs aussi président du Soviet. Il est ministre de la Défense. Le prince Lvov, très populaire préside. Miljukov est ministre des Affaires Etrangères.
    Les deux instances, GP et Sov. négocient et parviennent au compromis du 2 mars C'est à dire que le Soviet accepte de soutenir le GP mais ne veut pas y participer. C'est un gouvernement bourgeois, il y a beaucoup de socialistes au Soviet, participer au GP serait se compromettre et compromettre le mouvement révolutionnaire.( question classique) . En effet c'est justement ce que souhaiterait Kérenski...
    En tout cas se constitue  ce qu'on appelle le double pouvoir. C'est à dire la coexistence de deux conceptions différentes du développement de la révolution.
    LeGP envisage une Russie libérale et capitaliste, à l'image de l'Europe occidentale et de son parlementarisme. Il est bien décidé au fond à ne faire aucune concession aux socialistes et donc à combattre le Soviet.
    Le Soviet lui, même si ce n'est pas très clair, aspire à des changements profonds d'ordre social voire socialistes .
    En tout cas il est la seule force vraiment liée au mouvement révolutionnaire et en mesure, ce qu'il souhaite, de le contrôler éventuellement. Exemple : les soldats décident ( Prikaz 1) de refuser obéissance aux officiers et de n'accepter d'ordres que du Soviet. C'est à plus forte raison le cas aussi des ouvriers.
    Pour mémoire n'oublions quand  même pas le tsar . Son existence comme tsar n'a plus de sens. L'Etat Major lui même lui conseille de ne pas résister ; Il abdique le 2 mars pour son frère Michel qui abdique à son tour le 3. La nouvelle est accueillie dans la liesse. Le rejet du tsar était énorme. ( cf. supra )

                            le pouvoir en bas

     Mais le pouvoir du nouveau régime s'organise aussi en bas. Souvent sans directives la population installe de nouvelles autorités. Dès mars des dizaines de villes se dotent d'une administration révolutionnaire sous forme de soviets.Il y a aussi des soviets de paysans d'ouvriers, de soldats. Il existe également une profusion de comités (usines, quartiers,etc). Tout cela est très touffu, ne se limite pas à la structure politique d'ensemble des soviets dits de députés. Ces derniers d'ailleurs, aux approches d'Octobre perdront plutôt de leur prestige pour cause modération.
    Politiquement, en ces débuts de période révolutionnaire,les soviets de députés , comme celui de Pétrograd, sont dirigés par des socialistes modérés ( mench. SR, populistes ).
    Pour eux les soviets doivent s'en tenir à surveiller le gouvernement provisoire qui reste centre du pouvoir. Il faut s'assurer  qu'il fera des réformes suffisantes , qui permettront ensuite d'avancer vers un régime socialiste.
    A leur différence ( Cf. supra ) les bolchéviks voient dans les soviets un lieu de pouvoir à part entière,l'embryon d'un futur Etat socialiste.Ils ne sont guère écoutés mais les choses vont évoluer très vite.

2/ LA CRISE D'AVRIL

                                revendications

     Ceci d'abord à cause des revendications populaires dont la force grandit.
     La classe ouvrière réclame notamment les 8h., l'augmentation des salaires, le contrôle de la gestion par des comités d'usines. Les paysans réclament leurs lots de terre. Les soldats des allocations pour leurs familles, une discipline qui les respecte. Les allogènes se manifestent un peu partout.
     La bourgeoisie et une grande part des intellectuels ne comprennent ni n'approuvent ces revendications. D'ailleurs ils ne comprennent pas vraiment ce qui se passe dans le pays. Et cette attitude poussera les couches populaires à l'exaspération
    En vérité dès avril toute une partie des ouvriers, soldats et paysans se détache du gouvernement et même du Soviet de Pétrograd, au moins de ses dirigeants.
    Une minorité, les bolchéviks, aussi les anarchistes, comprennent miieux ce qui se passe dans le peuple.
                                    Les thèses d'avril

    Le retour de Lénine en avril sera déterminant. Sitôt arrivé il développe ses « thèses d'avril ».Elles surprennent tout le monde, y compris les dirigeants bolchéviks ( Kamenev par exemple), beaucoup moins les militants de base.
    Lénine tranche : il faut la paix, ne pas soutenir le gouvernement provisoire, donner tout le pouvoir aux soviets.
    L'attitude et la politique du GP donnent crédit à Lénine. Le parti bolchévik , déjà seule force vraiment organisée du régime de février, reprend vigueur très rapidement.
    Le GP en effet ne voit pas que les choses se jouent dans les campagnes,les usines , la rue, les casernes.Il en est surtout aux réunions de cabinet, commissions,projets qu'une Constituante réalisera plus tard. Le parlementarisme l'inspire . Il faut dire aussi qu'il écoute plus les industriels que les ouvriers, condamne les grèves,etc...

                                       la guerre

    Il comprend mal aussi les soldats. Le Haut Commandement lui demande de rétablir la discipline. Il s'en remet au Soviet qui réduit les droits des soldats et prête ainsi le flanc aux  critiques.
    Finalement il s'oriente vers la collaboration avec le GP, contrairement au compromis du 2 mars . En fait il se rallie à la guerre de défense nationale.
    Décidément le poids de la guerre est bien une donnée centrale de la situation.
    Le ministre de la guerre Miljukov veut la poursuivre et du même coup peut être enterrer la révolution.
    Côté Soviet la position qui prévaut est celle des menchéviks (Ceretelli mène les affaires ).C'est le « défensisme révolutionaire »:faire la guerre pour défendre la révolution, mais comme objectif, à la différence des impérialistes, on veut une paix sans annexions ni contributions ( au fond c'est assez près du « social patriotisme ». Il y a contacts entre le Soviet et le gouvernement . En définitive le Soviet en appelle à « la combativité de l'armée ».Miljukov est donc parvenu à orienter le Soviet vers la guerre plus que la paix.

      Naturellement les belligérants observent les choses.
      Sachant qu'il y avait aspiration à la paix en Russie, les austro-allemands souhaitent qu'elle se développe. Cela les libérerait du front Est.C'est pourquoi, notamment, ils ne traîneront pas à accorder aux pacifistes russes en exil en Suisse, dont Lénine,des facilités de transit par l'Allemagne dans un train bénéficiant de l'exterritorialité ;
     Par contre , côté Entente c'est l'inverse, on est inquiet , on désigne Lénine comme agent allemand, et on presse les russes de relancer les combats. D'où des contacts avec le Soviet. Contacts doubles par voie gouvernementale : on délègue deux ministres ( un anglais et un français ) et par voie parlementaire ( deux députés socialistes , non internationalistes ). C'est un peu laborieux mais tout le monde s'accommode du «  défensisme révolutionnaire. ». Il préservait l'essentiel pour l'Entente, la poursuite de la guerre par la Russie.
     Miljukov lui poursuit sa politique , la guerre, mais sans objectifs démocratiques ( sans annexions etc ) .Le 18 avril il envoie une note aux belligérants précisant qu'il maintient ses engagements et buts de guerre initiaux.

                                    Crise et conciliation

     Aussitôt c'est la crise, agitation et pétitions dans tout le pays réclamant le départ de Miljukov mais faisant confiance au Soviet. Autrement dit la volonté de paix monte dans le pays.Par rapport à Miljoukov le Soviet c'est la paix et on lui fait confiance, mais on n'en est pas aux idées de Lénine, de retour à Pétrograd, dans ses thèses
     Le rapport des forces se révèle à l'occasion d'une manifestation organisée fin avril. Les bolchévks y participent. Leur journal la Pravda et Lénine appellent le gouvernement à céder la place aux soviets. C'est selon Lénine le seul moyen de parvenir à la paix.
      En fait la majorité des manifestants ne sont là que pour soutenir le Soviet et faire fléchir Miljoukov et le gouvernement, pas pour donner tout le pouvoir au Soviet.
    Mais de son côté la droite fait une contre manifestation.Il y a des heurts , des morts et des blessés. D'autre part apparaît déjà un général, Kornilov ( nommé par Kérenski chef des troupes de Pétrograd ) prêt à intervenir à son profit. Mais les soldats ne le suivent pas. Quant à Lénine il  reconnaît publiquement ses erreurs ( « Les leçons d'une crise »), les bolchéviks avaient visé trop à gauche.
   Alors comment la crise va se résoudre ?
    Miljoukov est allé trop loin, il est écarté du pouvoir. La droite et le parti cadet qui l'ont soutenu sont politiquement hors jeu. Mais les bolchéviks aussi, trop en avance sur l'opinion
    La voie est donc ouverte à la conciliation entre les deux composantes du fameux « double pouvoir » qui du coup perd de son sens.
   Ainsi, le comité exécutif du Soviet vote-t-il la participation de membres du Soviet au GP. Ce dernier est remanié. Toujours avec Lvov comme président il est constitué de SR,menchéviks et travaillistes dont Kérenski.
    Vu les circonstances le programme du gouvernement était essentiellement centré sur la politique extérieure, sur la guerre.Du coup les questions économiques et sociales sont évitées.
   L'ennui c'est que l'aspiration à la paix monte et que par contre les questions économiques et sociales sont essentielles aux yeux du peuple.


3/ECHEC DE LA COALITION

                              tensions

    Le succès des conciliateurs s'explique. Une certaine modération subsiste dans l'opinion.
Toutefois avril avait aussi révélé un élément de tension grave. Il y avait eu affrontement entre une avant-garde ouvrière réelle, pas seulement des militants politiques bolchéviks, et une bourgeoisie de combat déterminée.
    Alors dans cette situation la coalition des conciliateurs avait tout bonnement à résoudre l'essentiel... : le problème de la révolution : on la laisse aller jusqu'où ? comment la mener ?, et le problème de la guerre.
     Naturellement la coalition est attaquée de droite et de gauche.
     Sur sa droite les KD poussent la résistance des milieux bourgeois à toute concession à gauche. Sur sa gauche les bollchéviks prédisent que toute concession à l'ennemi de classe conduira à la faillite de la révolution.Or il ne faut pas exagérer les conséquences , hors des milieux politiques, du faux pas des bolchéviks en avril .Depuis le retour de Lénine( Cf. supra ), le parti bolchévik progresse,la fermeté sur la paix comme sur la poursuite de la révolution paye. D'ailleurs les bolchéviks associent à leur cause des internationalistes comme Trotski ou Lunacarskij, attirent certains menchéviks ou SR qui restent sur le principe de la non participation à un gouvernement bourgeoisie,

                                 échecs extérieurs

    Tout dépendait des résultats de la politique de la coalition.
    En politique extérieure, sous l'impulsion des menchéviks, le but est de modérer les ambitions annexionnistes des belligérants afin de faciliter la paix.Pour cela on tente de faire renaître quelque chose comme l'Internationale en organisant une grande réunion des socialistes à Stockholm.Et tandis qu'elle ne pourra pas se faire,du côté des belligérants, Wilson le premier, personne n'entend abandonner ses projets d'annexions et sanctions.C'est un échec très grave , spécialement pour le Soviet de Pétrograd et les socialistes modérés, menchéviks surtout.
     A défaut de paix on peut tenter la carte de la guerre et de la victoire, ce que fait le gouvernement de coalition .
     Kérenski use de ses qualités oratoires pour convaincre les soldats de lancer une offensive ( et d'accepter de repousser la démocratisation dans l'armée ).
    Le 16 juin 1917 une offensive est déclenchée. Après quelques succès éphémères c'est l'échec.
    Du coup les bolcheviks renforcent leur crédit dans l'opinion. Le gouvernement provisoire est responsable des échecs. C'est un obstacle à écarter comme le fut le tsarisme. Surtout qu'il est aussi un obstacle aux progrès de la révolution.

                               La révolution n'avance pas

     Les conflits de classe s'aiguisent. Pourtant les revendications ouvrières ne sont pas exagérées mais le patronat ne cède guère , même sur les 8h. Les salaires augmentent peu, les débauchages sont fréquents.Le patronat, au fond ne tient pas à collaborer avec le gouvernement. A l'occasion il sabote même l'économie.
    Quant aux ministres socialistes ils ne soutiennent pas trop les luttes ouvrières . Ils prônent un contrôle de l'Etat sur la production, qui n'intéresse guère les ouvriers.
   Il s'ensuit un retour aux actions et journées de lutte ouvrières (plus 1905 que février ).
    En mai c'est un vaste mouvement de grèves revendicatives, d'occupation d'usines en réplique aux lock-out du patronat. Des comités d'usine se créent, souvent à l'initiative de bolchéviks. Un « contrôle ouvrier », voire des initiatives de « gestion ouvrière » apparaissent.
  Les menchéviks du gouvernement et du Soviet n'approuvent pas, ayant surtout le souci de contrer les initiatives bolchéviques.
    Le résultat est que gouvernement et Soviet perdent une partie de la confiance de la classe ouvrière.
    Les rapports de la coalition se détériorent aussi avec les paysans. Ils sont impatients de voir procéder à la redistribution des terres pour devenir propriétaires ou agrandir leurs propriétés . Les décisions tardent. Le pouvoir perçoit mal cette impatience et ses racines très anciennes (Cf. supra ).
    Dès mars les paysans , sans décisions officielles, s'étaient emparé de terres et avaient mis en place des comités de villages. D'où les réactions des propriétaires et la désapprobation par le pouvoir de ces mesures sauvages. Il met en place en mai ses propres réseaux de comités officiels pour la réforme agraire.
    C'est peu apprécié par les paysans vite appuyés pollitiquement par les bolchéviks, les anarchistes ou les SR de gauche.
    D'autres déboires pour la coalition surviennent du côté des allogènes. Là aussi les changement tardent notamment , au delà de l'égalité des citoyens , la question du droit des nations elles mêmes à s'affirmer.Sans parler de mouvements du côté des Pays Baltes, la Finlande , les Tatars. Le gouvernement est surpris en juin, quand une assemblée, la Rada,proclame la souveraineté de l'Ukraine.
      Bref la paix on ne la fait pas, la guerre on la perd et la révolution n'avance pas.

                                   Le 18 juin

     En juin c'est le premier congrès pan-russe des soviets.Menchéviks et SR sont très majoritaires. Ils sont sûrs d'eux, se moquent de Trotski et Lénine, surtout quand ce dernier affirme que le parti bolchévik est en mesure de diriger le pays.
    On est alors au moment de la préparation de l'offensive manquée de Kérenski. Les soldats sont inquiets .
     Essentiellement sous leur pression, les bolcheviks et la Pravda appellent à manifester le 10 juin contre la politique du Soviet. Toutefois ( la réaction du Congrès est hostile ) les bolcheviks se reprennent. Les menchéviks se réjouissent de ce recul et répliquent en appelant, eux, à manifester, au nom du Soviet, le18 juin.
     Surprise révélatrice de l'évolution du rapport des forces : seuls les bolchéviks y participent en masse.
    C'est donc eux et non les menchéviks qu'on écoute.
     C'est un tournant de la révolution. Pour la première fois les bolchéviks tiennent la rue, et de plus ils ont largement un appui des soldats.


III/ LA REVOLUTION D'OCTOBRE

  1/ LA CRISE DE L'ETE

                                   journées de juillet

    Début juillet commence la contre-offensive allemande ; Le climat est tendu. La droite se mobilise. Une fois de plus les soldats sont à l'origine des « journées de juillet ». Ils veulent que les bolchéviks prennent la direction de la manifestation qu'ils ont décidée.
    Le parti bolchévik s'en solidarise. Les manifestants reprochent violemment aux dirigeants du Soviet de ne pas saisir le pouvoir. Il y a des heurts et des morts. Signe du mécontentement, d'autres manifestations ont lieu dans tout le pays.
   Décidément il y a coupure de plus en plus entre le gouvernement et les soviets de députés d'un côté et la base. Base de plus en plus organisée et proche des bolchéviks.
    Mais le pouvoir en reste à l'idée que la révolution est terminée. Il ne veut donc voir dans les journées de juillet que la main des bolcheviks.
    Il fait publier des textes censés démontrer que Lénine est un agent du Kaiser. Lénine doit partir se cacher en Finlande tandis que Trotski et d'autres son arrêtés

                                    pouvoir fort ( Kerenski )

    Pour en sortir Lvov charge Kérenski de former un nouveau gouvernement.Son but est d'instaurer un pouvoir fort. Il souhaite à terme se débarrasser du pouvoir des Soviets.Pour l'instant ayant l'appui de la majorité socialiste des Soviets, il qualifie volontiers sa politique de révolutionnaire.
    Les soldats ne le voient pas ainsi et parlent de « contre-révolution militaire ( peine de mort rétablie dans l'armée,censure etc..). Quant aux bolchéviks , leurs journaux sont interdits et les militants sont contraints à la clandestinité.
    Par ailleurs, pour éviter la pérennisation des soviets, Kérenski veut jnstaller d'autres structures.D'où une vaste conférence d'Etat consultative à Moscou ou sont  noyés les représentants des soviets.

                                       Kornilov

    Mais en matière de pouvoir fort Kérenski a un concurrent,Kornilov, devenu chef des armées russes. Sur le front les allemands progressent et à l'arrière, une fois de plus une vague de grèves gagne toutes les grandes villes. I lfaut donc de lordre sur le front et à l'arrière et Kornilov devient le champion de la contre-révolution. Il entend bien remplacer Kérenski. Ce dernier démasque ses projets et le révoque.
    Tous les généraux se rangent derrière Kornilov qui fait avancer ses troupes sur Pétrograd . Mais il se heurte à l'intervention des ouvriers et soldats révolutionnaires. Kérenski a bien sûr l'appui du Soviet de Pétrograd.
    Mais , autre fait politique majeur, il reçoit le renfort des bolchéviks en vertu du mot d'ordre formulé par Lénine « Pas de soutien à Kérenski,lutte contre Kornilov ».
    L'intervention des bolchéviks est décisive. Kornilov est arrêté et les KD qui l'avaient suivi discrédités
                                        difficultés de Kérenski

    Si pour Kérenski le danger de droite s'est éloigné, par contre il a fort à faire avec les bolcheviks, considérablement renforcés par leur attitude.
    Kérenski n'a plus guère d'appuis dans le pays. L'Etat se défait . L'armée n'est plus en état de combattre. Avec l'affaire Kornilov ils n'ont plus aucune confiance dans leurs officiers. On a parlé à propos des soldats d'un « bolchévisme des tranchées » Des gens épuisés, souvent des paysans, ils veulent la terre et la paix, beaucoup désertent ( 1 M. en1917 ). C'est à nouveau une immense jacquerie, point culminant d'un cycle de révoltes commencé au début du siècle.
    Le peuple des villes est aussi en révolte.A lautomne 1917 les ouvriers pensent que la révolution n'a pas fait grand chose pour euxque gouvernement, hommes politiques et bourgeois sont solidaires.
    Kérenski cherche surtout à rassembler les démocrates hostiles aux bolcheviks.D'où la mise en place d'une sorte de Préparlement dit Conseil de la République (formellement proclamée le 1er septembre ).En même temps il remanie son gouvernement et ajoute aux socialistes des bourgeois et industriels, ce qui vu l'état de l'opinion tenait de la provocation
     Les bolcheviks refusent de siéger au Préparlement. Ils viennent à la première séance, écoutent un brillant discours de Trotski ( il a formellement rejoint en août le parti bolchévik avec ses amis ) et ils partent à la stupéfaction générale. C'était là selon M. Ferro «  le premier acte de l'insurrection d'octobre ».
    Kérenski va encore tenter des ouvertures diplomatiques pour parvenir à la paix.Cela ne donne rien. Ni côté alliés : ils ont soutenu Kornilov et menacent de ne plus livrer d'armes si l'ordre n'est pas rétabli. Ni ducôté autrichien.
    Décidément l'avenir est bouché pour Kérenski, tandis que ce qu'on a appelé la bolchévisation s'accélère.

2/ LA BOLCHEVISATION

    Comme on l'a repéré au fil des événements c'est un aspect majeur de l'évolution politique de l'entre deux révolutions.
    Au départ, en février 1917, la popularité du parti bolchévik est très limitée.
   Parmi les dirigeants alors présents en Russie compte surtout Kamenev. Il n'a aucunement comme perspective tout le pouvoir aux soviets et le socialisme.
    Puis c'est le coup des thèses d'avril de Lénine et c'est sur la base de la stratégie qu'elles définissent ( Tout le pouvoir aux soviet, etc..) que s'affirme la personnalité du parti bolchévik. Cela ne signifie pas l'adhésion claire et complète au bolchévisme. Mais ce qui est caractéristique est que l'opinion se bolchévise plus ou moins en même temps , en parallèle avec la radicalisation du bolchévisme sur la ligne d'une deuxième révolution. L'opinion est de plus en plus exaspérée par le comportement des hommes de février. Il est certain que Lénine a su percevoir cela mieux que la plupart de ses camarades de la direction bolchévique .
    Fait significatif des progrès du bolchévisme, le 9 septembre la direction du Soviet de Pétrograd est mise en minorité et Trotski est élu président du Soviet. A la suite des dizaines de soviets, dont ceux des grandes villes, Moscou, Kiev,etc...passent sous direction bolchévique. Un congrès des soviets de tout le pays est prévu pour le 20 octobre ' Il fallait s'attendre, vu la tendance, à ce que sa majorité fasse passer «tout le pouvoir aax soviets »
    Qu'est-ce qu'il s'ensuivrait ? Que peut faire Kérenski pour regagner du terrain ?
     Une course de vitesse est lancée entre Kérenski et les bolchéviks, spécialement Lénine.

 3/ LENINE ET L'INSURRECTION

                                on peut et on doit

    Depuis juillet, sous mandat d'arrestation,Lénine est caché en Finlande.Il se rend compte que c'est le moment ou jamais d'agir. Il y a une fenêtre hjstorique favorable quj ne se représentera sans doute pas.
    Kérenski est en grande faiblesse politique et au contraire l'audience des bolchéviks au plus haut
    Alors Lénine préconise l'insurrection. Il l'a toujours envisagée, sans en faire une nécessité en toutes circonstances. Avant les journées de juillet le mot d'ordre « tout le pouvoir aux soviets » impliquait un développement pacifique de la révolution. C'est à dire,au sein des soviets, débats et efforts d'entente entre les différents partis et tendances révolutionnaires.
    Mais après juillet la pression et le danger militaires s'accentuent et Kérenski ne réagit pas ( Cf. supra ).Lénine pense alors que la révolution n'a plus le pouvoir en main. Il faut donc le prendre de force, faire une nouvelle révolution sans tarder .
    Comme souvent il est d'abord isolé dans son propre parti.Il multiplie les lettres, celle du 12 septembre est intitulée «  Les bolchéviks doivent prendre le pouvoir » Ils le doivent, pense Lénine parce qu'ils ont la majorité aux soviets, que la révolution est en danger,que de plus le gouvernement n'a pas les moyens de défendre Pétrograd face à l'armée allemande. Ils le peuvent parce qu'ils auront l'appui du peuple en proposant notamment la paix et la terre.
    Kamenev n'est pas d'accord pour la violence et  l'insurrection. Pour lui il suffit d'attendre la majorité probable des bolchéviks au 2ème congrès des soviets.
    Pour Lénine c'est là du «  légalisme révolutionnaire ». Le temps presse, on ne peut pas s'enliser dans des marchandages et atermoiements entre tendances et partis. Le parti est suivi par le peuple en lutte. La violence révolutionnaire en ces circonstances est légitime .Il ne suffit pas de se fonder sur une majorité de congrès, fût-elle bolchévique.Il y a lutte et violences dans tout le pays, il faut sanctionner la victoire par une prise de pouvoir violente, par l'insurrection en haut aussi. Donc pour lui il aura bien avec l'insurrection le pouvoir des soviets mais par l'intermédiaire des bolchéviks. Ou si l'on veut ce sera les bolcheviks qui prendront le pouvoir au nom des soviets.
    Tout cela suppose que l'on fixe une date précise pour l'insurrection et avant la réunion du congrès des soviets.
    Lénine doit encore tempêter avec ses camarades,offre même sa démission ,parle d' « idiotie et de trahison ». Il revient clandestinement le 7 octobre. Le 10 chacun s'explique. Il finit par faire adopter le principe de l'insurrection.
    Dans cette perspective ( celle aussi de défendre peut-être Pétrograd) le parti bolchevik met sur pied son propre centre militaire révolutionnaire de 5 membres ( Staline, Sverdlov, etc..).
    En même temps Trotski , qui préside le soviet de Pétrograd fait créer un organisme militaire autonome du Soviet, le Comité militaire révolutionnaire de Pétrograd (PVRK) où les bolchéviks sont majoritaires

                                l'insurrection

    A partir du 22 octobre les choses se précipitent. Notamment toute la garnison de Pétrograd se rallie au PVRK. La rupture est ouverte, officielle , le 24 octobre, quand Kérenski s'avise d'interdire un journal bolchévik.
    Le comité central du parti bolchevik organise minutieusement l'insurrection de puis l'Institut Smolny ( créé pour les jeunes filles de la noblesse par Cath.II ). Des responsables sont placés à tous les point stratégiques. Les bolcheviks ont des moyens et soutiens importants, dont ils n'ont pas besoin en totalité pour l'insurrection, mais qu'ils pourraient mobiliser si nécessaire. C'est à dire soldats d'unités régulières ralliés, ouvriers des faubourgs armés, gardes rouges créés surtout pour la sécurité des usines,quartiers, ponts,etc..,matelots.
    Le soulèvement combine deux mouvements. La prise de pouvoir proprement dite organisée par le PVRK et un soulèvement ouvrier armé mené par le Centre militaire révolutionnaire du parti bolchevik.
    Plus rien ne répond dans l'appareil d'Etat de Kérenski ( impossible d'arrêter Lénine ). Sans combats ,à chaque point-clé de la ville, les force bolchéviques prennent le relais des anciens responsables.
    Le soir du 24 ( 6 nov. ) la ville est aux mains des insurgés. Seul le Palais d'Hiver, siège du gouvernement, résiste. Kérenski part se mettre à la tête des troupes. Il est lâché par l'Etat Major et les Cosaques, en souvenir de son action contre Kornilov. Il doit fuir Pétrograd.
    Le25 au matin le PVRK annonce que le gouvernement est renversé et qu'il prend le pouvoir.Reste l'assaut du Palais d'Hiver , défendu par des élèves officiers et un bataillon féminin, tandis que le croiseur Aurore pointe ses canons ( ne tirera qu'à blanc pour ne pas abîmer le monument ).
    Le 26, à deux heures du matin c'en est terminé.
    Pararllèlement en fin de journée du 25 s'ouvrait le 2ème congrès des soviets.
     Comme prévu les bolcheviks ont la majorité. Un Comité exécutif est constitué. Il compte 14 bolchéviks, dont Lénine et Trotski, quelques SR de gauche et internationalistes.
    Lénine ( pas paru en public depuis juillet ) est ovationné et annonce que l'heure de la révolution socialiste est venu.Il lit deux décrets, sur la paix et sur la terre. Les soviets élisent un gouvernement ouvrier et paysan, le Conseil des Commissaires du Peuple. Il est composé exclusivement de bolcheviks ( Lénine président, Trotski AE. Lunacarskij, Staline...)

3/CAUSES DU SUCCES
 
    On a beaucoup dit, aujourd'hui encore malgré des travaux historiques importants, surtout de Marc Ferro, qu'octobre fut seulement un coup d'Etat. C'est à dire que dans une situation de crise une minorité décidée et disciplinée , en l'occurrence le parti bolchévik, a pour ainsi dire « pris le pouvoir au vol » ;
    Cela revient à ne pas réellement expliquer Octobre. Et donc à perdre de vue la force du flux révolutionnaire russe de 1917.
    On ne peut pas réduire les événements d'octobre à un coup d'Etat militaire, ou alors comme dit M.Ferro à « un petitt coup d'Etat ».
    Il a certes été minutieusement préparé mais son succès et sa signification sont inséparables de facteurs plus profonds.
    D'abord, on l'a évoqué, il y a eu désagrégation et faillite des structures administratives de l'Etat : armée, fonctinnaires, juges,etc...Mais face à cela la société a réagi et le vide a été comblé par des institutions de remplacement : soviets de base, comités, syndicats, comités de quartiers foisonnent.
  Ils vont progressivement se consolider ou, comme dit Ferro, « se bureaucratiser ».Des bureaux restreints, permanents vont concentrer le pouvoir. Il se créent spontanément ou sont mis en place par en haut ( par élections ou non ) par les partis, le parti bolchévik en particulier.La bolchévisation s'effectue en effet démocratiquement mais aussi par enhaut.
    En tout cas on a pu parler d' « embryon d'Etat prolétarien » à propos de cette quantité d'institutions de base.
    Or, lors de l'insurrection et de sa préparation, les dirigeants bolcheviks sont en rapport avec eux.  A Pétrograd de nombreux comités de quartiers sont autant de relais sans parler de plusieurs centaines de soviets.
    Avec le succès de l'insurrection ils seront solidaires du nouveau pouvoir, par conviction sans doute mais aussi intérêt.Ils devenaient en effet partie intégrante du nouvel Etat en construction. Il y a eu «  greffe » entre le haut et le bas ( futurs apparatchiks )
    En arrière fond joue aussi en faveur des bolchéviks tous les mouvements souvent violents déjà évoqués Les violences  la terreur,ne sont pas organisés par les bolchéviks mais ils les assument et prendront eux des mesures d'interdictions par en haut après.
     Il y a donc dans la prise de pouvoir du 7 novembre le résultat combiné d'un énorme mouvement de masse et de l'action d'un nombre restreint d'hommes politiques ( surtout bolchéviks , aussi anarchistes er SR de gauche )

pour finir

    Aller plus loin ne nous est pas possible. Juste quelques remarques.
    Nous avons indiqué que dans ses premières paroles au Congrès des soviets, Lénine   avait parlé de révolution socialiste.
    Quelles sont  les premières mesures prises par le nouveau pouvoir ?
    Il y a le décret sur la terre qui abolit immédiatement la grande propriété, sans indemnité et remettait la terre aux comités agraires.
    Le décret sur le contrôle ouvrier dans les entreprises.
    Dans les deux cas c'est déjà une réalité conséquente. Paysans et ouvriers ont souvent pris l'initiative avant la lettre de réaliser les objectifs de ces décrets. Mais les décrets permettent la généralisation des mesures prévues.
    Toutefois ces mesures, en elles mêmes n'ont rien de spécifiquement socialiste.
    Deux autres décrets sont de caractère démocratique.
    Il y a celui qui concerne les allogènes ( 3ème pb. Cf.supra ).Il proclame le droit des peuples de Russie à disposer d'eux- mêmes.L'histoire de son application sera compliquée, toutefois les conséquences positives immédiates furent réelles.
    Reste le décret sur la paix, plus exactement l' «  appel à tous les peuples belligérants et à leurs gouvernements d'entamer des pourparlers immédiats en vue d'une paix juste et démocratique » .
    C'était une promesse essentielle faite par les bolchéviks.Plus profondément il est nécessaire pour consolider la révolution en Russie et il a aussi valeur d'appel aux peuples, s'ils veulent assurer la paix, à se débarrasser de leurs dirigeants impérialistes et suivre l'exemple bolchévique.
    Lénine savait en effet, parlant de révolution socialiste le 26 octobre ,que la Russie arriérée n'était pas en mesure de passer au socialisme. Il pensait la révolution et le socialisme en internationaliste. Il pense à la portée , à l'aide que peut apporter la révolution russe.Il espère ,en retour, que d'autres révolutions l'aideront. Ce ne sera pas le cas. Néanmoins la révolution était faite.Et pas seulement par la volonté de Lénine.Mais avant tout pour cette raison qu' en profondeur un peuple l'avait portée avec la force évoquée par Hobsbawm.

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