S'identifier - Contact
 

Partagez ce site sur Facebook




Partagez ce site sur Twitter



Les livres de l'Université Populaire d'Évreux


 Nature et christianisme chez Pascal

Conférence de Dominique Jouault - 24 / 9/2010

 

Au XVII ième siècle, imaginons deux amis sous un ciel étoilé ; l’un disait : « J’admire la beauté des étoiles ; on peut contempler dans les astres une harmonie, un ordre parfait ». L’autre répondit : « Regardez dans ce télescope : on observe des bosses sur la lune ; au dessus de nos têtes tournent de gros cailloux et des boules de feu qui pourraient nous tomber sur la tête ». Les deux amis faisaient de la philosophie sans le savoir comme M. Jourdain faisait de la prose. Ils philosophaient sur la nature : En effet, dans leur dialogue, s’affrontent deux représentations de la nature : l’une harmonieuse, l’autre quelque peu chaotique ; la différence de ces représentations nous conduit à nous poser la question suivante : Qu’est-ce que la nature ?    

 

          Supposons que la nature soit tout ce qui existe indépendamment de ce que l’homme a formé comme par exemple : les étoiles, le vent, la mer. Si cette nature est un ordre harmonieux, ne doit-il pas la suivre ? Si au contraire, cette nature est une matière livrée au hasard, l’homme ne doit-il pas chercher à la dominer ? L’homme n’a-t-il pas à se protéger contre la nature et le peut-il sans la modifier ? Accepterions nous de nous laisser disparaître sous une pluie de météorites ? Nous constatons donc deux représentations de la nature conduisant à deux représentations de l’homme : d’une part, une nature harmonieuse et donc un homme qui suit la nature ; d’autre part, une matière aveugle et un homme voulant se rendre maître de la nature. Le problème alors posé est celui de la relation entre la nature et l’homme : comment situer l’homme par rapport à la nature : dedans ou dehors ? L’homme est –il une partie de la nature qu’il doit suivre ou bien est-il en dehors d’une nature qu’il doit dominer pour survivre ?

        En quoi ce problème concerne-t-il Pascal ? Pascal vit au XVII ième siècle. Cette époque nous intéresse en ce qu’elle se situe à la croisée de ces deux représentations de la nature et de l’homme ; cela conduit Pascal à se poser les questions qui précèdent. La nature cesse d’être représentée comme l’harmonie parfaite dont les astres sont les modèles ; en elle, s’entrechoquent les atomes de manière mécanique. Commence ce qu’on appellera le désenchantement du monde : la nature a cessé d’être divine et parfaite. Pascal s’interroge sur cet affrontement entre deux conceptions de la nature. S’il est attentif à la splendeur et au mystère de la nature, il est un savant s’attachant à connaître la nature. Il veut  prouver par l’expérimentation scientifique qu’il existe du vide dans la nature. Pourquoi cette expérimentation sur le vide est-elle si importante ? D’abord parce qu’elle s’inscrit dans une conception moderne de la science : la physique n’est plus la contemplation de la nature mais l’action de l’homme sur la nature, par l’expérimentation. Et rien ne doit, en tant qu’autorité religieuse, venir limiter le progrès indéfini de la recherche scientifique. D’autre part, l’existence du vide s’oppose à l’idée  d’une nature pleine, formant un tout avec des limites, dans laquelle il y a un centre, une circonférence, une hiérarchie avec ce qui est supérieur en haut et ce qui est inférieur en bas. La nature avait par conséquent un sens permettant de s’orienter : être au centre ou pas ; être en haut ou en bas. A présent, la nature est trouée de vide ; on n’en voit pas les limites ; ni centre ni circonférence ; ni haut ni bas ; la nature n’a plus de sens. Elle a cessé d’être parfaite : c'est-à-dire complète et achevée.

     Mais pourquoi Pascal s’interesse-t-il à la nature ?Pas seulement en tant que physicien mais aussi en tant que philosophe. Si Pascal s’interesse à la nature, c’est par intérêt pour l’homme : L’homme a-t-il une nature ? L’homme est-il une partie de l’univers ou se sent-il étranger dans cet univers ? Pascal se pose la question suivante : l’homme peut-il trouver dans la nature ou dans son humanité de quoi le satisfaire dans ses aspirations les plus profondes ? Face à la mort, puis-je me contenter de contempler les étoiles en me disant que la mort est dans l’ordre des choses ? Puis-je croire au progrès indéfini de la médecine ? Je mourrai ; les étoiles continueront de briller et les médecins m’auront quitté. Dans la nature, s’inscrit la fragilité de mon existence mortelle . Quel est le sens de cette existence précaire ? Le sens ne m’apparait clairement ni dans la nature ni dans le travail des hommes. J’en viens à me demander s’il n’y a pas une absence de sens.

         Mais quel rapport entre ces interrogations philosophiques de Pascal et le christianisme ? Pascal ne nous éclaire pas seulement comme savant ou comme philosophe mais aussi par son christianisme, en posant le problème suivant : peut-on penser la nature autrement que comme un ordre harmonieux dont l’homme ferait partie et auquel il lui faut se conformer mais aussi autrement que comme une matière livrée au hasard et à la nécessité mécanique que l’homme aurait à dominer en ne comptant que sur ses forces humaines ? Et si en effet la nature était à penser autrement, comme création ? En quoi la notion chrétienne de création nous permet-elle de sortir de l’alternative précédente : l’intégration dans un ordre naturel ou la domination de l’homme sur la nature ?

         Pour éclairer le problème que nous venons de poser concernant la définition de la nature, la place de l’homme dans la nature et leur relation, nous nous poserons trois questions : premièrement : que pouvons nous comprendre de l’immense univers qui nous entoure et comment nous situons nous par rapport à lui, nous qui ne sommes que des hommes limités et mortels ? Deuxièmement, l’homme a-t-il une nature humaine qui s’impose à lui ou bien est-il capable de se former lui-même, de construire un monde en rupture avec la nature ? Troisièmement, si  l’homme se sent étranger dans cet immense univers et incapable de se produire lui-même de manière satisfaisante , comment pourraient nous éclairer les notions judéo-chrétiennes de création, de créature et donc d’un Dieu créateur ? Ces trois questions sur la nature, l’homme et la création composeront les trois parties de notre propos.

 

        Dans une première partie, posons nous donc la question suivante : qu’est-ce que la nature, dans cet immense univers qui nous entoure ? Nous ne pouvons pas reprocher à Pascal de philosopher dans l’ignorance, lui qui est à la fois mathématicien et physicien, engagé avec les autres savants dans la connaissance expérimentale de la nature, lui qui veut soustraire la recherche scientifique à l’autorité de l’Eglise, lui qui défend une représentation de l’univers proche des penseurs en opposition avec l’Eglise, comme Galilée ou Giordano Bruno qui mourut sur le bûcher. En quoi la nature n’est-elle plus cet ordre harmonieux , ce cosmos que concevaient les Grecs ? La contemplation des astres ne nous dévoile-t-elle plus la perfection de la nature ?

        Pascal ne nie pas absolument la beauté de la nature et commence précisément par dire son admiration devant les astres, en particulier devant le soleil qui depuis Copernic a remplacé la terre en tant que centre de l’univers. Il écrit dans Les Pensées : «  Que l’homme contemple donc la nature entière dans sa haute et pleine majesté (…) qu’il regarde cette éclatante lumière, mise comme une lampe éternelle pour éclairer l’univers. » La nature est-elle donc un ordre majestueux devant lequel nous nous inclinons ? Sommes nous rassurés par la lumière d’un soleil qui ne brillerait que pour nous éclairer ? La nature aurait-elle un sens ? Pascal ne peut se satisfaire de cette représentation de la nature.

         En effet, qu’est-ce que le soleil dans l’univers ? se demande Pascal . Pas beaucoup plus que la terre, répond-il ; une étoile parmi les autres . Si nous tentons de compter les étoiles et de voir le plus loin possible, si nous imaginons d’autres galaxies, nous ne parvenons pas à une vision globale de l’univers, à en déterminer les limites. L’univers n’est pas un tout centré sur la terre ou le soleil, c’est l’infini et il n’y a pas de centre. Pascal écrit dans Les Pensées : « C’est une sphère infinie dont le centre est partout, la circonférence nulle part ». L’homme qui habite la terre n’est donc pas au centre de l’univers. Il est perdu dans l’infiniment grand. L’homme ne sait comment s’orienter dans cet infini. Et si la terre n’est rien par rapport à l’infinité de l’univers, qu’est ce que l’homme ? Quelle importance lui accorder ? N’éprouve-t-il pas le sentiment de n’être rien ? Ne se sent-il pas comme anéanti ? Pascal écrit dans Les Pensées : « Que l’homme étant revenu à soi, considère ce qu’il est au prix de ce qui est ; qu’il se regarde comme égaré dans ce canton détourné de la nature ». L’homme n’est plus un être important habitant le centre de l’univers, sa capitale, il est dans un petit canton qu’on peut à peine situer . Pascal conclut : « Qu’est-ce qu’un homme dans l’infini ? »

         Mais la nature n’a pas fini de nous étonner ; la source de cet étonnement n’est pas seulement au dessus de nos têtes, elle est à nos pieds, sur cette terre, dans la contemplation des animaux, des plantes. Si nous ne pouvons comprendre l’immensité du ciel, ne pouvons nous nous vanter de connaître les plus petites choses qui nous entourent ?Observons un minuscule animal : son corps, ses pattes, ses veines, son sang, une goutte de ce sang, ce qui constitue cette goutte et allons ainsi jusqu’à l’infiniment petit : nous dirions aujourd’hui les molécules, les atomes, les noyaux, les nucléons, les quarks et après ? Avons-nous atteint le terme ? Nous ne pouvons savoir si la nature ne se divise pas à l’infini. Il y aurait un infiniment petit comme il y a un infiniment grand. Pourquoi ne pas comparer les noyaux d’atomes, leurs électrons avec des soleils et leurs planètes ?Pourquoi n’y aurait-il pas des univers dans la moindre goutte d’eau ?

          Non seulement nous ne pouvons nous orienter en contemplant le ciel, c'est-à-dire nous situer à l’intérieur de cet immense univers, mais nous ne pouvons nous appuyer sur une terre se dérobant sous nos pieds : sous nos pieds, tourbillonnent des atomes dans le vide, ces atomes sont indéfiniment divisibles. Mais si nous ne sommes rien sous le ciel étoilé, ne sommes nous pas un colosse au dessus des atomes ? Un colosse aux pieds d’argile puisqu’il n’y a que la divisibilité indéfinie de la matière au dessous de nous. Nous voilà tout autant égarés : rien pour nous éclairer dans le ciel, rien pour nous enraciner dans la terre. Voilà de quoi nous effrayer : nous sommes placés entre deux abîmes. Il y a quelque chose de disproportionné dans le rapport de l’homme et de la nature. Le progrès indéfini de ses connaissances paraît incapable de rejoindre ni l’infiniment grand ni l’infiniment petit. Pascal écrit dans Les Pensées : « L’homme est également incapable de voir le néant d’où il est tiré et l’infini où il est englouti ». Si nous ne pouvons connaître l’infini de la nature, comment pourrions nous la maîtriser ?

          Mais quelle est donc la place de la connaissance scientifique dans la nature ? La nature n’est-elle pas l’objet d’une science qu’on appelle la physique ? Si nous voulons nous représenter la place de notre connaissance, comparons la à celle de notre corps : la place de notre corps entre l’infiniment petit et l’infiniment grand est celle de notre intelligence : nous sommes infiniment dépassés. Le véritable savant n’est pas celui qui se vante de sa science et croit pouvoir un jour tout expliquer ; il est celui qui avoue son ignorance. Il ne renonce pas à connaître mais il sait qu’il ne saura jamais tout. La science n’est pas la possession d’un savoir définitif et figé : elle est une recherche sans fin, elle progresse indéfiniment sans jamais atteindre son terme ; aussi la véritable science se veut modeste.

          Ainsi, face à l’univers, que ce soit la splendeur du ciel au dessus de moi ou la richesse de la nature qui m’entoure sur cette terre, je suis partagé entre l’admiration et la frayeur. Pascal écrit dans Les Pensées : « Je vois ces effroyables espaces de l’univers qui m’enferment(…)Je ne vois que des infinités de toutes parts qui m’enferment comme un atome et comme une ombre qui ne dure qu’un instant sans retour ».Je ne suis rien dans l’infini : ni dans l’espace ni dans le temps : une ombre éphémère dans l’infini déroulement du temps. Pascal compare l’existence humaine à celle d’un navire perdu sur l’immensité des mers, emporté par un mouvement incessant des flots, ne pouvant trouver un rivage ou un port pour se repérer, s’ancrer ou se reposer. Notre bateau ne sait ni d’où il vient ni où il va, il est désorienté, perdu. Imaginons alors l’égarement et la frayeur de l’équipage. Sous ce grand ciel étoilé, entre ces montagnes d’eau, rien de rassurant dans la nature, rien de divin. La nature n’est qu’obscurité et silence ; rien ne répond aux cris des marins et rien à voir à l’horizon. S’il existe un Dieu, il est bien caché. Il y a dans la tempête de la vie comme une absence de Dieu ; l’homme se sent abandonné et proche du désespoir : « Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie » écrit Pascal dans Les Pensées.

          Mais devons nous nous accepter seulement comme des êtres effrayés et perdus dans la nature ? Sommes nous vraiment si peu de choses ? N’y a-t-il pas en nous une qualité qui dépasse la nature ? Qu’y a-t-il en nous qu’il n’y ait dans une étoile ou un insecte ? L’homme n’a pas de puissance physique corporelle : qu’est-ce que le corps d’un homme face à l’ouragan ? Et un virus peut l’emporter. Il est petit et mortel. Ses capacités de connaissance sont limitées mais elles montrent cependant que l’homme pense : l’homme est physiquement un des plus faibles êtres de la nature : un roseau ployable à tout vent. L’homme est éphémère et peu de chose peut le tuer mais il est capable de se représenter l’univers, ce que ne peut faire l’univers. Il meurt mais il sait qu’il meurt, c’est un être de conscience. Pascal écrit dans Les Pensées : « L’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature ; mais c’est un roseau pensant(…)Quand l’univers l’écraserait, l’homme serait encore plus noble que ce qui le tue, parce qu’il sait qu’il meurt, et l’avantage que l’univers a sur lui, l’univers n’en sait rien ». La pensée fait la condition tragique de l’homme : s’il était faible et inconscient, il n’aurait rien à craindre, il ignorerait qu’il va mourir. Mais étant faible et mortel, perdu dans l’infini, il le sait et de là vient son angoisse. Seul un être de conscience peut s’angoisser de sa condition. Sa pensée est-elle alors une force ou une faiblesse ? La pensée arrache l’homme à la nature mais peut-elle lui permettre de se construire en ne s’appuyant que sur lui-même ? L’homme peut-il par la raison dominer la nature afin de s’en protéger  ? Peut-on rêver d’un monde humain en rupture avec la nature, dans lequel l’homme se développerait lui-même dans l’autonomie ? Mais si rien dans la nature ne peut contenter totalement l’homme, peut-il se contenter lui-même ?

          Au terme de cette première partie, nous pouvons penser que ni la nature ni la science de la nature ne peuvent répondre aux aspirations de l’homme. Elles ne peuvent que nous inciter par l’inquiétude et la conscience de notre fragilité, à chercher ailleurs un sens à notre existence. Jamais la physique ne répondra à nos angoisses devant le malheur ou la mort. Il y a une vanité des sciences qui ne peuvent répondre aux interrogations morales de l’homme. Pascal écrit dans Les Pensées : « La science des choses extérieures ne me consolera pas de l’ignorance de la morale au temps d’affliction » Et il ajoute : « Ecrire contre ceux qui approfondissent trop les sciences », non pas que nous devions renoncer au progrès des sciences mais nous ne pouvons y trouver ce que nous cherchons : le sens de notre existence. Revenons donc à l’intérieur de nous et demandons nous avec philosophie : Qu’est-ce qu’un homme ? L’homme a-t-il  une nature ?

 

           Dans une seconde partie, nous souhaiterions nous interroger sur la notion de nature humaine. L’homme est-il une partie de la nature ? A-t-il une nature qui s’impose à lui ? Ou bien est-il un être à part, capable de sortir de la nature et de se construire lui-même ? Peut-il par lui-même satisfaire ses aspirations ? Peut-il par lui-même donner sens à son existence ? Face au malheur et à la mort, peut-il prendre en charge seul sa condition humaine ? L’homme a-t-il une nature lui fixant sa place dans l’univers comme pour les plantes ou les animaux ou bien peut-il rompre avec la nature, la dominer par sa technique, s’inventer une conduite ?

           Ne disons nous pas en observant les hommes : « C’est la nature humaine » ou bien : « Cela est

naturel » ? Nous entendons par nature ce dont l’homme serait fait, indépendamment de sa volonté. Dès sa naissance, la nature , d’une manière innée, s’imposerait à lui comme elle s’impose aux plantes et aux bêtes.  On classerait chaque individu dans sa nature comme on classe les chevaux ou les arbres. De même qu’on reconnaît un arbre en le classant dans son espèce et en prévoyant la manière dont il croîtra, de même on reconnaîtrait un homme et l’on pourrait s’attendre à ce qu’il se comporte de telle manière. Ne dit-on pas : « Les hommes feront toujours la guerre, c’est dans leur nature ? » Mais analysons la notion de nature humaine dans ses rapports avec la vie sociale. Lorsque nous disons que les inégalités sociales sont naturelles, cela n’est-il pas contestable ? Les grands seigneurs ont-ils une nature supérieure qui fait leur noblesse ? Imaginons que nos ancêtres par hasard ou par violence aient été placés au dessus des autres hommes, et que nous ayons oublié cette origine lointaine de leur pouvoir, qu’y aurait il alors de naturellement supérieur en eux ? N’observons nous pas la sottise, la morgue et le peu de grandeur de certains nobles ? Si nous disons qu’il y a des inégalités naturelles, ce n’est pas parce qu’elles existent mais parce que nous sommes accoutumés à un type d’ordre social. Nous prenons pour naturel ce qui relève de la coutume. La preuve en est que si nous étions des Suisses du XVII ième siècle, nous jugerions naturelle l’égalité des citoyens de la République de Genève. Pascal écrit : « Qu’est-ce que nos principes naturels, sinon nos principes accoutumés ? » Nous pouvons constater une grande variété de coutumes alors qu’il y a une uniformité du comportement animal dans  une espèce. Les hommes ne suivent donc pas leur nature, ils inventent des conduites variables. L’homme n’a pas de nature innée ,définissable, prévisible qui l’inclurait dans l’ordre naturel.

           Si l’homme avait une nature, il serait contraint de s’en contenter. Tel il aurait été constitué par la nature, tel il demeurerait. Il y aurait une éternelle nature humaine. On pourrait constater une stabilité, montrer les limites indépassables de notre humanité. Mais le propre de l’homme semble au contraire son incapacité de rester sans cesse dans le même état. L’homme ne se contente jamais de ce qu’il est et cherche sans cesse à se dépasser. On le voit dans la recherche scientifique. L’homme paraît indéfinissable parce que toujours projeté au-delà de lui-même. « Apprenez que l’homme passe infiniment l’homme » écrit Pascal dans Les Pensées. Ne pouvons nous donc concevoir l’homme comme un être de progrès qui est sorti de sa nature première pour se construire lui-même ? Ne pouvons nous calmer notre effroi devant le malheur et la mort par la croyance en un progrès humain venant dans l’avenir nous apporter connaissance et bonheur ? L’homme moderne n’est-il pas celui qui croit au changement et en l’avenir ?

          L’homme se distingue des espèces naturelles, plantes ou bêtes, en ce qu’il n’accepte pas ce qui lui serait imposé par la nature. Un lion n’est pas condamné pour son agressivité mais nous déplorons celle d’un homme. Un animal suit son instinct sans s’interroger sur l’univers. L’homme déplore son ignorance. Si nous sommes semblables aux bêtes, pourquoi souffrons nous de leur ressembler dans leur agressivité ou leur ignorance ? Nous refusons de végéter comme des plantes ou la bestialité qui rapproche certains hommes de l’animalité .Nous défendons ce qui nous distingue de la nature: « Un arbre ne se connaît pas misérable », écrit Pascal ; il se contente de sa nature. Mais pour l’homme, Pascal écrit : « Ce qui est nature aux animaux, nous l’appelons misère en l’homme ». Mais si l’homme refuse la nature, peut-il vraiment en sortir et montrer sa grandeur, sa puissance ? Peut-il se faire lui-même ?

         Ce n’est pas parce que l’homme ne peut se contenter d’une conduite animale qu’il peut se faire lui-même. Pour expliquer que l’homme n’a pas de nature simple, Pascal parle de double nature ou de nature contradictoire de l’homme. Il y a une contradiction en l’homme qui conduit à penser qu’il n’a pas de véritable nature mais qu’il n’est pas non plus le produit de lui-même. En effet, l’homme peut-il se donner ce dont il manque ? Le progrès technique et scientifique ne résout pas le malheur de notre condition et peut même l’accroître. Et qui ne voit qu’il n’y a aucun progrès moral de l’homme ? L’homme veut être bon mais il reste mauvais en partie. Le pire est que plus il veut être bon, s’élever moralement, plus il s’enorgueillit, se durcit et retombe plus bas que son état premier. Pensons au bien que nous promettent le fanatique ou le rigoriste. Pascal écrit : « L’homme n’est ni ange ni bête et  le malheur veut que qui veut faire l’ange fait la bête ». Nous savons bien quelles sont les misères de l’angélisme et que l’enfer est pavé de bonnes intentions. Ainsi plus l’homme cherche à s’améliorer moralement, plus il veut s’élever au dessus de lui-même et plus il s’abaisse. Et si nous restions en bas ? Et si notre nature existait mais était mauvaise ? Mais si notre position naturelle est basse, pourquoi la refusons nous et l’appelons nous bassesse ? Si nous voulons demeurer bas, nous ne le pouvons pas. Nous sommes saisis par le mépris de nous-mêmes, par le remords et par là, nous montrons que nous n’acceptons pas notre misère morale. Nous vantons nous de notre bassesse ? Ne cherchons nous pas sans cesse à nous faire admirer ? Le pire des scélérats ne se vante-t-il pas ? Le pire scélérat n’est pas une bête car a-t-on déjà vu une bête chercher l’admiration des autres pour sa seule gloire en dehors de tout instinct de survie ou de reproduction ? « Les bêtes ne s’admirent point ; un cheval n’admire point son compagnon », écrit Pascal. Résumons : celui qui veut s’élever et être grand, il se rendra misérable et bas ; celui qui veut s’abaisser et demeurer misérable, il sera soulevé et découvrira sa grandeur. L’homme est un être instable. De même qu’il est perdu entre l’infiniment grand et l’infiniment petit de la nature, il est perdu entre sa grandeur et sa misère. Il lui faudrait se tenir au milieu mais il est sans cesse en oscillation et en déséquilibre. L’homme ne trouve ni dans la nature ni dans son humanité une juste compréhension de lui-même.

          Mais d’où lui vient son aspiration à un état de perfection, de bonheur puisqu’il ne peut progresser par lui même ni trouver sa place dans la nature ? Pour répondre à cette question, Pascal utilise une image : l’homme ne se plaint pas de ne pas avoir trois yeux car cela ne lui correspond pas ; mais il se plaint de n’en pas avoir ou de n’en avoir qu’un parce qu’il est fait pour avoir deux yeux et qu’il comprend qu’il a perdu la vue. Par conséquent ce à quoi aspire l’homme n’est pas ce qu’il pourrait obtenir en progressant lui-même, c’est ce qu’il aurait possédé autrefois et qu’il aurait perdu. Si l’homme aspire à avoir deux yeux, ce n’est pas parce qu’il n’en a toujours eu qu’un seul et qu’il désire en avoir deux, c’est parce qu’autrefois il en avait deux et qu’il a perdu la vue. Quel homme désirerait avoir trois yeux ? Aucun parce qu’il n’en a jamais eu trois. L’homme cherche à retrouver ce qu’il a perdu. Si l’homme aspire à la grandeur, , c’est qu’il a été grand et qu’il a perdu cette grandeur. L’homme est un être indéfinissable, instable, parce qu’il a reçu une première nature bonne et parfaite et qu’il l’a perdue. Il est placé à présent dans une seconde nature imparfaite dont il ne peut se contenter. Il voudrait retrouver sa première nature. A l’idée d’un progrès, s’oppose l’idée de chute. A l’idée d’avenir, s’oppose celle du passé. L’homme ne progresse pas dans l’avenir vers une meilleure nature ; il avait autrefois une meilleure nature en deçà de laquelle il est tombé. Qu’est ce que signifie cette idée de chute ?   L’homme ne se fait pas lui-même ou bien il serait capable de se donner ce dont il manque ; il est précédé par une nature qui lui a été donnée mais qu’il a perdue. La condition humaine ne dépend pas seulement de l’homme : elle lui a été donnée et ’il l’a perdue. Pascal utilise une autre image : qui se plaint de ne pas être roi si ce n’est quelqu’un qui était fait pour l’être et qui a perdu son royaume ? L’homme est un roi qui a perdu son royaume, qui est déchu de son état royal et qui aspire à retrouver cet état. Pascal écrit dans Les Pensées : «  Qui se trouve malheureux de n’être pas roi sinon un roi dépossédé ? »

          L’impossibilité pour nous d’accepter notre condition humaine actuelle, nous l’observons dans l’impuissance où nous sommes de rester seuls en repos à méditer sur nous-mêmes. Nous ne pouvons supporter ni le silence ni la solitude de manière durable, il nous faut sans cesse nous agiter. Ne voulant reconnaître le sens de cette agitation, nous racontons que nous sommes contraints de courir ainsi sans cesse. Nous sommes contraints de chasser pour nous nourrir, nous sommes contraints de travailler pour gagner notre vie. Mais si on nous donnait le lièvre ou l’argent, nous comprendrions que ce n’est pas le lièvre que nous cherchons mais la chasse, que ce n’est pas l’argent mais l’occupation. Nous ne pensons qu’à nous divertir, même en travaillant, c'est-à-dire à nous détourner de notre triste condition. Ou bien survient l’ennui qui est un malheur sans cause. Celui qui ne manque d’aucune des jouissances de la terre est paradoxalement celui qui s’ennuie le plus. Les grands seigneurs s’ennuient plus que leurs serviteurs qui n’ont pas le temps de penser à leur existence. Les grands seigneurs sont affamés de distractions . Qui ne s’est ennuyé le Dimanche ou pendant de longues vacances à la campagne ou lors d’une retraite laissée à l’oisiveté ? Mais de divertissement en divertissement, sans jamais nous interroger sur le sens de notre vie, nous voilà bientôt morts. Pouvons nous nous satisfaire de notre inconscience ?

         Affronter sa condition humaine, s’interroger sur notre place dans la nature, c’est regarder la mort en face, ce que nous ne voulons pas puisque nous passons notre temps à nous divertir ; les sciences elles mêmes peuvent être une sorte de divertissement. Les hommes ressemblent à des prisonniers, tous condamnés à mort et qui voient chaque jour leurs compagnons égorgés devant leurs yeux et qui attendent leur tour. Que font de tels hommes ? demande Pascal. Ils jouent aux cartes au lieu de chercher le moyen d’être sauvés. Ne regardons pas la mort avec un esprit morbide mais soyons conscients de notre condition : acceptons nous le malheur et la mort ou bien les refusons nous ? Avons-nous compris que ni la nature ni l’humanité ne peuvent nous en délivrer ? La conscience de la mort est celle de notre salut. Comment être sauvés ?

          Au terme de cette seconde partie, nous constatons que ni l’univers physique qui nous entoure ni notre condition humaine présente ne donnent sens à notre existence. Nous ne comprenons pas davantage la nature de l’homme que celle de l’univers . Pascal écrit dans Les Pensées : «  Quelle chimère est-ce donc que l’homme ?(…) Quel monstre, quel chaos, quelle contradiction (…) gloire et rebut de l’univers ». Si le sens n’est ni dans la nature ni dans notre humanité, où est-il ? Y a-t-il sens ?

 

           Dans une troisième partie, nous souhaiterions montrer comment les notions judéo-chrétiennes de création, créature et créateur peuvent nous aider à dépasser l’alternative entre une vie humaine incluse dans la nature et une vie humaine sortie de la nature, qui cherche à la dominer et à se produire elle même. Mais ces notions ne sont-elles pas désuètes ? Comment peuvent-elles être une source de sens ? Nous ne voulons pas par ces notions théologiques, expliquer comment l’univers et la vie humaine se sont développés. La question que nous posons est la suivante : dans quel but vivons nous dans cet univers ? Nous cherchons la signification de la nature et non son explication . Mais pourquoi se poser la question du sens ou du but de la vie ? Nous n’avons pas choisi de naître ; pour reprendre l’image du bateau chère à Pascal, nous sommes embarqués malgré nous. Si vous êtes placé sur un bateau, ne voudrez vous pas savoir dans quel but et pour quelle destination ?Un cours sur les éléments marins ou l’art de la navigation vous satisferont-ils ? Ni la connaissance de la mer ni votre art de naviguer ne répondront à la question : pour aller où ? Ni la science ni la technique ne peuvent répondre à cette question. Peut-être vous tournerez vous alors vers la philosophie : Penserez vous alors, défendant la grandeur de l’homme, devenir le maître des océans, pouvoir décider de votre destination et être certain de l’atteindre ? Rien n’est moins sûr. Penserez vous alors, vous abandonnant à la nature, vous livrer aux courants marins et vous laisser dériver sans aller nulle part ? Tout cela sent le naufrage. Où allez vous donc dans la vie ? Renoncez vous au sens ?

         En réponse à cette question du sens, que gagnerons nous à penser la nature comme création ? En quoi cela oriente-t-il notre relation avec la nature ? Tout d’abord, penser la nature comme création permet de la penser autrement que comme une ordre harmonieux, un cosmos, un tout plein, achevé et parfait, une divinité. Les astres étaient des divinités à contempler. La nature était Dieu. Il fallait donc suivre la nature. Pascal au contraire ne cesse de distinguer Dieu et la nature : ainsi  la nature ne peut prouver l’existence de Dieu ; si Dieu existe, il est un Dieu caché. On ne voit pas Dieu dans la nature. La nature, c’est la vie et la mort, c’est l’entredévorement des espèces les unes par les autres. On ne convertira jamais personne en lui donnant la nature à contempler. Mais la nature n’est pas non plus la matière livrée au hasard et à la nécessité mécanique ; on ne peut qu’admirer la beauté de la nature et très modestement reconnaître qu’au-delà des progrès scientifiques, il y a du mystère. Le mystère n’est pas ce qui n’a pas été encore expliqué mais ce qui ne pourra jamais l’être. La nature est création parce qu’elle n’est pas Dieu mais elle renvoie à un Dieu extérieur, transcendant : c'est-à-dire qui la dépasse. La nature est aussi création parce qu’elle dépasse le pouvoir des hommes, elle lui échappe.   Elle est ce qui renvoie en dehors d’elle et de l’homme à une recherche de sens qui la dépasse. La nature n’est pas le sens mais ce qui par sa beauté et son mystère renvoie au sens, à un sens extérieur.  Que l’univers ait été créé ne signifie pas qu’il ait été façonné comme une poterie, selon une image technique et anthropomorphique. Cela signifie qu’il prend sens en dehors de lui-même et de l’homme. Il ne faut donc plus se conformer à la nature ou vouloir la dominer : il faut en chercher le sens transcendant. Le chrétien aime la nature, il ne cherche pas à s’en rendre le maître mais il ne la divinise pas. Pascal écrit dans Les Pensées : «  Ce qui paraît (dans la nature) ne marque ni une exclusion totale ni une présence manifeste de divinité, mais la présence d’un Dieu qui se cache. »  Ainsi dans la Genèse, premier livre de la Bible, voyons nous l’homme établi le gardien du jardin de l’Eden ; il n’en est que le gardien, pas le maître. La nature a précédé l’homme dans la création mais par ailleurs l’homme en étant créé un autre jour que la nature, manifeste sa différence d’avec elle et des aspirations qui la dépassent.  L’homme doit cultiver un jardin dont il n’est pas le maître.

           Mais que nous apporte l’idée de l’homme comme créature ? Cette notion de créature nous permet de ne plus penser l’homme comme une partie de la nature ou au contraire comme capable d’exercer une toute puissance sur lui-même en se produisant seul. L’homme n’est pas seulement un animal parmi les autres avec une intelligence complexe et une capacité d’accélérer son évolution. Quel sens moral pourrait-on tirer d’une telle conception de l’homme ? Peut-on moralement conformer la conduite humaine à des comportements animaux ? Non pas que l’animal soit mauvais mais il n’est pas bon non plus, il est a-moral. Nous l’avons déjà dit, un homme se conduisant selon ce qu’il y a en lui d’animal, ne nous paraît pas à la hauteur de son humanité. Mais pour autant l’homme est-il capable en rompant avec la nature, de se donner seul des lois morales lui permettant de progresser vers le bien ? Non. D’autre part, rien n’est plus dangereux qu’un homme prétendant refaire l’homme et changer la face du monde, sans tenir compte de ce que la réalité comporte de complexité naturelle et humaine. Se comprendre comme créature, c’est concevoir une vie humaine reliée à la nature sans s’y inclure et surtout une vie humaine qui dépend d’un autre que l’homme : un Dieu créateur . L’homme n’est pas assujetti à la nature et il n’est pas non plus entièrement modelable par des mains humaines. Etre une créature, c’est échapper aux contraintes de la nature et à la tyrannie des hommes. Comment ôter à l’homme le désir de se faire lui même et ses semblables sans lui rappeler qu’il a reçu sa vie d’un autre que l’homme, un Dieu créateur ? Comment empêcher l’homme d’exercer un pourvoir totalitaire sur lui-même s’il ne dépend que de lui ? Réfléchissons à la notion de liberté : la liberté est-elle de suivre une nature qui s’impose ? Est-elle de donner à l’homme un pouvoir total sur lui-même ? Ou est-elle de chercher un sens que personne ne peut s’autoriser à posséder une fois pour toutes et pour tout le monde ? Tel est l’homme comme créature, créé après la nature et s’en distinguant ; créé à l’image de Dieu mais n’en étant que l’image.  Ni la nature ni l’homme ne sont à diviniser puisqu’il renvoient à un Dieu créateur. Dans le livre de La Genèse, au début de la Bible, l’homme se perd en écoutant le serpent. Celui-ci ne lui proposait-il pas de devenir un dieu ? De se faire lui-même ? Tel est le sens du péché : la recherche d’un pouvoir total de l’homme sur lui même  

          Rappelons nous ce qui est écrit dans le livre de L’Ecclésiaste dans La Bible : « Vanité des vanités, tout est vanité . Quel profit retire l’homme de toute la peine qu’il se donne sous le soleil ? Une génération s’en va, une autre vient (…)Le soleil se lève, le soleil se couche (…) Ce qui a été, c’est ce qui sera (…) Il n’y a rien de nouveau sous le soleil (…) Et qui accroit sa science, accroit sa douleur ». L’homme est-il assujetti à un ordre naturel dépourvu de sens , cette nature dans laquelle passent les saisons , les plantes, les hommes, cette alternance de vie et de mort ? En quoi la connaissance de ces grands cycles naturels nous aiderait-elle à vivre ? Une telle existence ne serait-elle pas vaine, c'est-à-dire vide de sens ? Penser la nature comme création, c’est la penser comme ne donnant pas, par elle-même, sens à notre existence. Le sens est ailleurs : il y a du surnaturel, c'est-à-dire un sens qui n’est pas réductible aux explications de la nature. La nature n’est pas l’implacable nécessité qui nous contraint à ne pas trouver d’autre conduite possible que l’adaptation la plus intelligente au milieu vital. L’homme ne cherche pas seulement à augmenter sa puissance naturelle mais à devenir un autre être. Un autre monde est possible sur cette terre. La nature est portée par la grâce, c'est-à-dire ce qui nous vient d’au-delà de la nature et de notre humanité, comme un don et une liberté à chercher. Ni la nature ni quelque puissance humaine ne peuvent nous imposer une conduite. L’opposition entre la soumission à la nature et la domination de la nature par l’homme est une fausse alternative. En réalité, la nature et l’homme technicien appartiennent à une même représentation de l’univers : un univers se suffisant à lui-même. Comme on le dit : il n’y a que ce monde et il faut le prendre comme il est. Pascal oppose à cela une autre représentation de l’univers : l’univers est relié à un principe qui lui est extérieur ; nous appartenons à un univers ouvert sur un sens qui nous dépasse. C’est en quoi il faut distinguer la nature et la grâce : un univers se suffisant à lui même et un univers ouvert.

          Mais en quoi cette représentation conduit-elle à une conduite morale qui donnerait sens à notre existence ? Le terme de morale ne convient pas. La notion d’amour conviendrait mieux. Pascal nous conduit à l’idée d’un univers dans lequel la vie est reçue ou donnée, relation avec un autre que soi qu’on peut appeler Dieu. Elle conduit à l’attitude aimante de celui qui se reçoit et qui se donne à son tour. Tel est le sens véritable du miracle ; le véritable miracle n’est pas ce qui contredit la nature par des bizarreries ou des extravagances. C’est ce qui incarne le sens d’un amour désintéressé incompatible avec les rapports de force de la matière ou les luttes égoïstes des hommes. « Les miracles prouvent le pouvoir que Dieu a sur les cœurs », écrit Pascal.

        

          Au terme de cette réflexion, comprenons l’actualité de la pensée pascalienne en nous posant un certain nombre de questions : Premièrement, que voulons nous dire lorsque nous voulons suivre la nature ? Savons nous de quoi nous parlons ? Avons-nous pensé à ce que serait une humanité se conformant aux lois de la nature ? Deuxièmement, que voulons nous dire lorsque nous voulons faire de l’homme son propre maître ainsi que celui de la nature ? Qu’est ce que l’homme moderne a fait de la nature avec sa technique ? Que fait-il de lui-même ? Ne rêve-t-il pas de renoncer à son humanité pour créer une post humanité ? Si nous désirons poser des limites à cette domination, d’où vient cette voix qui nous demande de protéger la nature et notre humanité ?

          Mais n’est-il pas insensé de s’en remettre à ce Dieu que nous ne pouvons connaître ? La notion de Dieu créateur n’est pas une connaissance sinon ce serait réduire   la transcendance du sens à des conceptions humaines. Elle exige la foi. La foi est un risque puisqu’elle est incertitude. Pascal en s’adressant aux incroyants, parle de pari. Si je prétends ne chercher que mon intérêt, qu’est ce que je gagne à croire en Dieu ? Qu’est ce que je risque de perdre ? Si l’on n’est pas touché par l’amour de Dieu et si l’on ne cherche que les rapports de force ou les luttes d’intérêt, que ne voit-on qu’on a tout à perdre en perdant Dieu, c'est-à-dire en menant une vie insensée jusqu’à la mort ? Parier sur l’existence de Dieu,   c’est au contraire dès à présent, gagner une vie meilleure. Le gain du christianisme n’est pas de vivre mal sur cette terre pour vivre mieux dans le ciel, il n’est pas d’aspirer à une autre vie mais d’avoir dès à présent une vie autre. Pascal écrit : «  Quel mal vous arrivera-t-il en prenant ce parti ? (…) Je vous dis que vous y gagnerez en cette vie »

 

Petite bibliographie : quelques œuvres de Pascal :

 

Les Pensées : toutes les citations du texte précédent en sont tirées

Entretien avec M. de Saci
Préface au Traité sur le Vide
Discours sur La Condition des grands
           
 
Dominique JOUAULT    24 septembre 2010
 
 
 
   
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Nature et christianisme chez Pascal

Introduction

Opposition entre deux représentations de la nature : la nature harmonieuse et la matière aveugle ;  recherche d’une définition de la nature. Les deux représentations de l’homme par rapport à ces deux représentations de la nature : suivre la nature ou la dominer. En quoi ces deux représentations ne sont pas satisfaisantes. Comment le travail scientifique de Pascal, sa réflexion philosophique sur l’homme et son christianisme nous éclairent.

 
Première partie

Reflexion sur la nature de l’univers et la place de l’homme dans l’ univers : l’homme est-il une partie de l’univers dont il doit suivre l’ordre ? L’homme peut-il au contraire dominer la nature par la science et la technique ?

L’homme perdu entre l’infiniment grand et l’infiniment petit

Les limites de la science

La pensée humaine source de conscience et d’angoisse devant l’univers

 
Deuxième partie

Reflexion sur la notion de nature humaine : l’homme a-t-il une nature qui s’impose à lui ? L’homme est-il au contraire le produit de lui-même ?

Ce que nous prenons pour la nature humaine n’est que coutume inventée par les hommes

L’homme n’a pas de nature s’imposant à lui puisqu’il cherche à se dépasser sans cesse

L’homme accepte difficilement ce qu’il a de commun avec la nature des animaux

L’homme ne peut ni se contenter de ce qu’il est ni s’élever définitivement au dessus de lui-même : il n’a pas de nature stable

L’homme ne peut se donner ce à quoi il aspire en progressant, il semble avoir perdu un état meilleur qu’il regrette. La notion de chute

Pour oublier la misère de sa condition, l’homme se divertit

L’homme refuse de penser à sa mort et ne cherche pas à être sauvé.

 
Troisième partie

Reflexion sur les notions de création, créature et Dieu créateur : en quoi permettent-elles de dépasser l’alternative précédente de l’homme inclus dans la nature ou dominant la nature et se produisant lui-même ?

Distinction entre explication scientifique et recherche théologique de sens

La nature de l’univers comme création : la nature n’est pas divine, parfaite puisqu’elle dépend d’un Dieu créateur ; elle échappe en partie au pouvoir des hommes

L’homme comme créature : l’homme en étant créé par Dieu échappe à la nature et au pouvoir des hommes

Les notions de surnaturel et de grâce : non pas ce qui est contre nature mais ce qui la dépasse

Le miracle : non pas ce qui est contre nature mais ce qui est d’un autre ordre : celui de l’amour

 
Conclusion

La notion de foi : comment la croyance en un Dieu créateur me donne une vie meilleure sur cette terre

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

BIENVENUE...

L'Université Populaire d'Evreux vous propose une conférence par mois le vendredi de

18h30 à 20h30 au

lycée Aristide Briand


ENTREE LIBRE ET GRATUITE


PROCHAINES CONFERENCES

Vendredi 31 mai 2024, 18h30 - 20h30 :
La paix par la sécurité collective depuis le XX siècle : une mission impossible ? L'émergence du concept de sécurité collective et l'échec de la SDN (1920-1945) 1e partie par Jean-Jacques Renolliet, professeur d'histoire