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Les livres de l'Université Populaire d'Évreux


 Posthumanisme et transhumanisme : le projet d’homme augmenté et de corps bionique.

 

Depuis une bonne vingtaine d’années la fabrication d’un corps « augmenté » destiné à  assurer des capacités sensorielles, motrices, cognitives, émotives extraordinaires est ouvertement posée. L’idée d’un « corps bionique » artificialisé, totalement réparable, modifiable, ouvrant la possibilité d’un « cyborg », hybride de chair et de métal, d’organique et de machinique, est le dernier avatar de « l’ingéniérie humaine » destiné à produire des humains superperformants, notamment dans le sport de compétition, les opérations militaires et la conquête spatiale.

Le posthumanisme et le transhumanisme  constituent aujourd’hui des « collectifs de pensée » avec leurs « styles de pensée » et « l’harmonie de leurs illusions » pour reprendre les termes de Ludwik Fleck 1, c’est-à-dire des systèmes d’opinions et de croyances parfaitement organisés et fermés sur eux-mêmes, des mouvements idéologiques militants qui prétendent bouleverser les représentations du corps et faire advenir sa transformation radicale 2. Le posthumanisme et le transhumanisme sont en fait des collectifs de pensée qui articulent cinq sources d’inspiration ou de légitimation qui doivent nécessairement interroger le sens critique des philosophes.

 

1) Premier point à noter, ces collectifs de pensée – que rien ne distingue vraiment sinon la dénomination – se réclament souvent de soubassements philosophiques qui se veulent progressistes 3, en référence à des thèses rationalistes, par exemple à Descartes avec sa célèbre proposition de « nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature » 4, y compris par conséquent de la nature humaine. L’influence du matérialisme mécaniciste est également prégnante, celle de Julien Offray de la Mettrie par exemple, qui utilise quelques métaphores mécanicistes classiques (l’horloge, la pendule) : « Le corps humain, écrit-il, est une machine qui monte elle-même ses ressorts : vivante image du mouvement perpétuel » 5. Le corps humain se situe pour lui en effet dans le prolongement des « machines presque aussi parfaites que nous » 6, les animaux, dont nous ne différons que par « l’organisation du cerveau ». Et c’est l’organisation complexe de son cerveau qui fait que « l’homme est une machine si composée » 7 que l’on doit « entrer dans quelque détail de ces ressorts de la machine humaine. Tous les mouvements vitaux, animaux, naturels et automatiques se font par leur action » 8. Cette « unité matérielle de l’homme » 9 est due au fait qu’il « n’est qu’un animal, ou un assemblage de ressorts, qui tous se montent les uns par les autres, sans qu’on puisse dire par quel point du cercle humain la Nature a commencé. Si ces ressorts diffèrent entre eux, ce n’est donc que par leur siège et par quelques degrés de force, et jamais par leur nature ; et par conséquent l’âme n’est qu’un principe du mouvement, ou une partie matérielle sensible du cerveau, qu’on peut, sans craindre l’erreur, regarder comme un ressort principal de toute la machine » 10. Dans la perspective mécaniciste du vivant qui tend aujourd’hui à s’imposer l’organisme est donc constitué d’un ensemble de pièces susceptibles d’être rectifiées, améliorées, remplacées. Le corps devient dès lors un puzzle de fragments substituables.

La référence au progressisme de Condorcet est également très nette. Celui-ci envisage en effet « le perfectionnement réel de l’homme » 11, l’amélioration de l’espèce humaine par le progrès de la « médecine préservatrice », l’amélioration des facultés physiques, de la force, de l’adresse, de la finesse des sens, mais aussi des facultés intellectuelles et morales. Cette médecine doit faire disparaître les maladies transmissibles ou contagieuses et participer au « progrès indéfini » du perfectionnement de l’espèce humaine 12, au point que la durée moyenne de la vie devrait augmenter sans cesse. L’homme « ne deviendra pas immortel », mais « il doit arriver un temps où la mort ne serait plus que l’effet, ou d’accidents extraordinaires, ou de la destruction de plus en plus lente des forces vitales », si bien que « la durée de l’intervalle moyen entre la naissance et cette destruction n’a elle-même aucun terme assignable » 13.

 

2) Le deuxième facteur de légitimation du posthumanisme/transhumanisme est fourni par les avancées scientifiques et techniques sophistiquées, en particulier dans le domaine des Nanotechnologies, des Biotechnologies, de l’Informatique et des Sciences cognitives (NBIC) qui sont supposées révolutionner la condition humaine par l’interconnexion croissante entre l’infiniment petit, la fabrication du vivant, les outils informatiques surpuissants, les systèmes numériques, l’exploration des mondes virtuels et l’étude du fonctionnement cérébral 14.

 

3) Le troisième facteur qui a boosté le posthumanisme/transhumanisme est la généralisation des robots et de la robotique censés préfigurer un univers social dominé par des systèmes automates interconnectés (dans le travail, les transports, la vie domestique), des machines intelligentes capables de s’autoprogrammer (robots militaires, drones, robots industriels, robots d’exploration spatiale ou sous-marine, robots chirurgiens, robots sportifs 15), mais aussi des créatures artificielles d’apparence humanoïde (par exemple le robot Asimo développé par Honda) ou animale (par exemple le chien de compagnie Aibo développé par Sony).

 

4) Le quatrième élément décisif qui a permis le posthumanisme/transhumanisme est l’utilisation de plus en plus fréquente des biomatériaux, la multiplication et la diversification des greffes d’organes, d’origine organique ou d’origine artificielle (par exemple le cœur artificiel).

 

5) La cinquième source d’inspiration est fournie par les scénarios futuristes de la science-fiction avec ses innombrables humanoïdes hybrides, ses cybernanthropes, ses robots.

 

 

L’Homme augmenté, c’est-à-dire la fabrication ou la reconstruction du corps par les biotechnologies, est d’abord l’intervention directe sur le fonctionnement organique et vise à remplacer, par diverses pièces de rechange, les organes, fonctions et tissus défectueux ou détruits. On remplace l’élément en panne par un organe ou un tissu vivant prélevé sur le sujet lui-même ou sur un donneur étranger  par autogreffes et transplantations. Ces techniques de substitution corporelle atteignent aujourd’hui une fréquence et une diversité extraordinaires. Si les greffes du cœur restent les plus spectaculaires à cause de leur aspect symbolique (le « cœur » comme moteur et centre vital de l’individu), les autres greffes de viscères (foie, poumon, pancréas, etc.) se situent d’abord dans la perspective du recul des limites des possibles corporels, de transgression des barrières physiologiques. Mais le principe de « l’échange standard » bute encore sur les questions d’incompatibilité (rejets, défenses immunologiques, etc.) entre le receveur et le donneur, que celui-ci soit un humain ou un animal. Il bute aussi, bien entendu, sur l’extraordinaire complexité du corps humain, symbolisée par le cerveau et le système nerveux supérieur, bien que certaines tentatives de greffes de tissu cérébral aient été tentées. Si le cerveau demeure l’Himalaya à vaincre, la frontière absolue à dépasser, il reste que le corps en pièces exprime l’idée d’une conquête permanente d’une nouvelle corporéité, la recherche de l’inaccessible dont la finalité fantasmatique serait l’immortalité et la perfection. Cette quête, c’est en effet l’idée d’une machine corporelle indestructible 16 parce qu’éternellement réparée, entretenue, perfectionnée, régulée. Comme l’écrit Monique Vigy : « Les progrès de la technologie d’une part, de la chirurgie d’autre part, ont été tels durant ces dernières années que par petits morceaux nous sommes presque complètement réparables : les garagistes n’ont pas l’exclusivité des échanges standard. Lorsqu’on fait l’inventaire de tout ce qui peut être remplacé – par greffe d’organe ou par prothèse – dans un corps humain, on découvre qu’il serait en réalité beaucoup plus rapide de citer les organes ou parties du corps pour lesquels aucune tentative de ce type n’a été faite. Bien sûr, nombreux sont encore les domaines où les essais se sont soldés par des échecs ou des semi-échecs. Et certaines “premières” ont eu des résultats trop médiocres pour avoir été le début de longues séries. Mais, à l’inverse, d’autres techniques de remplacement d’organes sont entrées dans la pratique courante » 17.

Le remplacement des organes ou de certaines parties du corps se situe dans la dialectique, à la fois objectiviste et fantasmatique, du moi et du non-moi, de l’identité et de l’altérité. Si les greffes du cœur ou de la main ne manquent pas d’interroger l’ipséité d’une personne vivante qui reçoit ces organes d’une personne décédée, elles ne mettent pas pourtant fondamentalement en question son identité publique. Les greffes partielles ou totales du visage par contre bouleversent particulièrement la dimension personnelle – sociale et fantasmatique – de l’identité du sujet vivant qui reçoit le visage d’un mort. Le visage exprime en effet la singularité absolue d’une personne, le « siège » de son âme, le résumé de son existence 18. C’est pourquoi la première greffe partielle (triangle nez-lèvres-menton), réalisée en France en 2005 sur une femme mordue au visage par son chien 19, puis la greffe en Chine sur un paysan défiguré par un ours – interventions qui allaient inaugurer une compétition médiatique entre équipes de chirurgie plastique et reconstructive dans le monde (face race selon l’expression britannique) – donnèrent l’impression de constituer une étape décisive dans la possibilité de reconstruction artificielle de l’être humain. C’est ainsi qu’en 2010 la greffe totale – avec bouche, paupières et système lacrymal – réussie en France sur un patient atteint d’une maladie génétique qui lui déformait le visage devait ouvrir de nouveau horizons. Malgré les polémiques médicales et éthiques soulevées par ces transplantations du facies d’un mort sur le visage mutilé d’un vivant, il est maintenant question d’envisager des greffes totales qui comprendraient la langue et les oreilles !

Le projet qui préside aux pratiques foisonnantes du bio-engineering contemporain est donc de maintenir le corps à son plus haut niveau de fonctionnalité grâce à une panoplie de pièces détachées capables de suppléer à « l’usure », aux « pannes », aux « dysfonctionnements » organiques : soit des prothèses destinées à remplacer totalement un appareil physiologique « hors d’usage », soit des orthèses qui viennent secourir un organe déficient et l’aident à fonctionner correctement. On entre là dans le vaste supermarché des pièces de rechange artificielles, des produits synthétiques tolérés par le corps (plastiques, métaux, céramiques), des biomatériaux, des implants. L’imagination est sans bornes dans ce domaine : oreilles en plastique, armatures de valves cardiaques, broches, plaques, vis, prothèses articulaires et dentaires, prothèses vasculaires, peau artificielle, hanches en plastique, prothèses du sein en silicone, anus artificiel (sphincter magnétique et bouchon en métal), implants cochléaires, implants capillaires, etc. Et l’on envisage même sans sourciller des yeux artificiels, des neurones en silicium et des microprocesseurs greffés sur le système nerveux. On recherche également des tendons artificiels, du sang artificiel (un « transporteur d’oxygène ») et des vertèbres en ciment acrylique pour soigner des tumeurs osseuses rachidiennes 20.

Dans ce qui apparaît ici comme l’avenir radieux du corps artificiel, du corps fabriqué, se pose pourtant la question de la nature organique/inorganique de la « substance » corporelle : viande anonyme et interchangeable, biomatériau reproductible, amas cellulaire biocompatible avec d’autres amas issus de « cultures animales » ? Le corps est-il à présent voué à devenir un mixte chimérique, un alliage de chair et d’objets matériels, de fonctions organiques et de mécanismes construits ? « Mâchoires, fémurs, épaules, valvules cardiaques et même pénis artificiels existent déjà, note Sophie Seroussi. Les chercheurs ont réussi à reproduire jusqu’au sang humain. À base de fluorocarbones, le sang artificiel est capable d’apporter de façon transitoire à l’organisme l’oxygène dont il a besoin et de le débarrasser du gaz carbonique quand, pour une raison ou une autre, le vrai sang fait défaut [...]. Réparera-t-on demain la mécanique humaine défaillante comme on répare aujourd’hui le moteur d’une voiture en panne en changeant des pièces ? » 21. L’obstacle principal est là aussi la compatibilité entre le corps et les prothèses ou les implants. Mais outre que les techniciens envisagent des matériaux composites acceptés par l’organisme ou des prothèses biodégradables permettant la « plomberie physiologique », se profile déjà la fabrication d’organes artificiels hybrides, mi-synthétiques, mi-vivants. Les progrès réalisés ces dernières années dans les technologies nouvelles – principalement en microélectronique et dans les biotechnologies – laissent envisager un développement considérable des organes artificiels. La microélectronique permet en effet une miniaturisation des systèmes de contrôle et de régulation automatisée des organes artificiels. Comme le soulignait déjà en 1982 Russell Scott, « les organes artificiels deviendront pour beaucoup d’entre eux portables et même implantables. Ils pourront dès lors fonctionner vingt-quatre heures sur vingt-quatre […]. Cette extension radicale de la durée d’utilisation bouleverse la technologie même de l’unité centrale et ouvre des possibilités de miniaturisation encore plus poussées. L’implantation d’une authentique oreille artificielle, directement connectée au système nerveux central, entre dans le domaine du possible. L’œil artificiel captant lumière et images par des microcellules photo-électriques devient concevable » 22.

Autre possibilité qui semble promise à un bel avenir : on « branche » l’organisme sur une machine d’assistance extérieure qui supplée à une défaillance fonctionnelle temporaire ou définitive. Il s’agit là d’une classique interconnexion de réseaux machiniques qui s’auto-régulent et s’auto-contrôlent. On entre alors directement dans le règne du corps programmé ou du corps cybernétique. On connaît déjà les poumons artificiels et les reins artificiels, ces « usines d’épuration » qui permettent la dialyse, mais ce sont sans doute les opérations de branchements avec les cœurs artificiels qui ont le plus frappé l’imagination. Ainsi, pour la première fois en France, un cœur artificiel total, mis au point par le professeur Alain Carpentier, a été implanté sur un patient le 18 décembre 2013. Prévue pour redonner son autonomie au patient, cette bioprothèse a finalement été victime d’un dysfonctionnement d’un composant électrique, un « court-circuit », qui a entraîné la mort du greffé le 2 mars 2014. Cet échec n’a évidemment pas empêché la poursuite des implantations et les recherches pour fabriquer un cœur artificiel plus léger et plus fiable.

Dans la perspective des « prothèses anthropotechniques » pour reprendre l’expression de Jérôme Goffette, on imagine la banalisation de l’hybridation homme-machine, c’est-à-dire de l’homme modulable : « L’idée de la modularité appliquée à l’être humain est une catégorie intermédiaire entre l’intériorité organique et l’extériorité mécanique » 23. Il n’est donc pas étonnant que soit envisagée la possibilité de mixtes prothétiques « allant du gadget à l’implant utilitaire : montre-poignet et bijoux corporels, implants hormonaux anticonceptionnels ou régulateurs de l’humeur, membres en partie artificialisés pour les améliorer, membres échangeables avec des membres-outils plus ciblés (main-bistouri du chirurgien, bras-berceuse de l’artisan, jambes-roues du courtier, etc.), organes des sens plus performants (prothèse auditive, zoom oculaire) ou nouveaux (ultrasoniques, infrasoniques), capacités informatiques incorporées, etc. » 24.

Le projet biotechnologique – de plus en plus audacieux – d’incorporation d’objets ou de dispositifs artificiels dans l’organisme humain ne va évidemment pas sans poser la question de la pertinence des approches philosophiques traditionnelles qui permettaient jusqu’à lors de cerner la corporéité. Que vont en effet devenir les notions de corps propre, de chair, de frontière du corps, de propriété corporelle, d’identité corporelle, si le corps est ainsi ouvert sur l’extérieur, pénétré par des choses, transformé dans ses fonctions, ses capacités, sa biogenèse, si la porosité entre la chair et le métallique, l’organique et le mécanique, le biologique et l’électronique rend incertaines, floues et mobiles les limites connues à ce jour ?

Ces questions se posent de manière d’autant plus pressante que l’on cherche aujourd’hui à atteindre le stade industriel de la fabrication bionique des organes et tissus artificiels. Un laboratoire de création d’organes bioartificiels (Scaffolds and bioartifical organs for transplantation) a ainsi été créé à Madrid en novembre 2010, avec pour vocation de devenir la première banque d’organes décellularisés du monde. L’objectif est de fournir aux patients en attente d’une greffe d’organe des « matrices » vidées de leurs cellules, qu’il suffirait de repeupler avec les cellules souches du receveur avant de réaliser la transplantation, de manière à régler à la fois le problème du manque de donneurs et celui du rejet des greffes. Déjà est envisagée la création d’un cœur bioartificiel humain : « L’équipe espagnole est parvenue à éliminer toutes les cellules d’un cœur humain en utilisant des substances détergentes diffusées par le biais des artères coronariennes. “L’organe devient une matrice tridimensionnelle inerte, sans cellules, mais dotée d’artères, de vaisseaux et de veines, prêtes à être semées de cellules souches pour reconstruire un nouvel organe”, détaille le docteur Avilès […]. La matrice, une fois vidée de ses cellules, se conserverait parfaitement dans le temps pour être utilisée au moment adéquat […]. Plus tard, ce laboratoire devrait permettre la création, en plus de cœurs bioartificiels, de reins, de foies et de tissus de la peau, organes sur lesquels travaillent activement d’autres équipes internationales » 25. De la même manière des vagins bioartificiels, constitués à partir de cellules humaines poussant autour d’une matrice biodégradable, ont pu être obtenus en laboratoire et implantés avec succès sur quatre jeunes filles qui en étaient dépourvues. « Les vagins bioartificiels ont “poussé” à partir de cellules musculaires et épithéliales (recouvrant les muqueuses) dont l’équivalent d’un demi timbre-poste a été prélevé sur les parties génitales externes de chaque patiente. Elles ont ensuite été placées sur une structure façonnée spécifiquement pour chaque patiente. Les cellules musculaires sur la face externe, les cellules épithéliales sur la face interne correspondant à l’intérieur du vagin. Après cinq à six semaines de culture en laboratoire, l’ensemble était suturé dans une cavité créée par le chirurgien dans la région pelvienne. Une fois en place, les cellules implantées formaient un tissus, tandis que des vaisseaux sanguins et des nerfs se constituaient à leur contact et que la structure biodégradable disparaissait pour laisser place au nouvel organe » 26.

Les perfectionnements et les miniaturisations des prothèses ainsi que les recherches de nouvelles sources d’énergie et de nouveaux composants électroniques de régulation connaissent un développement accéléré. Stimulateurs cardiaques, prothèses auditives et visuelles, mains et bras artificiels dirigés par micro-processeurs analysant les ordres du système nerveux central et les transmettant directement aux moteurs qui animent l’articulation, capteurs d’informations noyés dans la « peau » de silicone recouvrant les doigts artificiels, microprocesseurs obéissant à la voix humaine (à des phonèmes spécifiques), partout on cherche à stimuler le corps par des machines « intelligentes » micro-informatiques et micro-électroniques ultra perfectionnées. Déjà des prothèses informatiques permettent à certains infirmes moteurs cérébraux de communiquer grâce à l’assistance d’un ordinateur. D’autres expériences d’avant-garde tentent par la stimulation du cortex cérébral de redonner un embryon de vision aux aveugles. Ce système de vision artificielle est composé d’une caméra vidéo reliée au cerveau via un ordinateur. Le dialogue homme-machine connaît aussi un bond en avant avec l’introduction des machines à synthétiser la voix (machines qui « parlent » et émettent des paroles intelligibles) et des machines de reconnaissance de la voix (machines aptes à comprendre des mots) 27.

Le rêve le plus fou, celui de maîtriser les prothèses cérébrales et donc l’intelligence artificielle, est aujourd’hui un programme de recherches pour de nombreux laboratoires. Il y a plus de trente ans, Alexandre Dorozynski notait que « les prothèses du cerveau – voire de l’intelligence – semblent inscrites dans l’avenir […]. N’est-il pas logique de penser que l’on va tenter, un jour ou l’autre, d’utiliser “l’intelligence” de l’ordinateur comme prothèse inhérente au support biologique de l’intelligence de l’homme. Par exemple placer comme prothèse une minuscule pastille de silicone qui donnerait à l’homme la connaissance instantanée d’une langue étrangère, de la théorie de la relativité ou de toute autre connaissance ou capacité intellectuelle. Ce sera peut-être le seul moyen de franchir l’étape qui sépare l’homo sapiens d’un stade supérieur, qui pourrait bien être infranchissable si l’on s’en tient au chauvinisme de la chimie organique ? » 28.

Cette osmose progressive entre le cerveau et l’ordinateur donne lieu à des recherches proches de la science-fiction. On s’efforce ainsi de concevoir un super cerveau à l’image des méga ordinateurs. Au Japon, par exemple, l’Institut Riken près de Tokyo, haut lieu des neurosciences, tente en effet, à partir du décryptage de l’ensemble de la mécanique cérébrale, de créer de toutes pièces des machines dotées des capacités d’intelligence, de mémoire, d’intuition et pourquoi pas d’affectivité. La « fabrication » programmée d’un cerveau artificiel est l’objectif avoué : « Les cinq premières années devraient suffire à développer des puces électroniques capables de reconnaître des objets, et des systèmes de mémoire, répliques du fonctionnement cérébral. Vers 2010 [sic], on devrait avoir élaboré des structures ayant la faculté de penser […], on pourra fabriquer des machines dotées de mémoire sans avoir à les programmer et dotées également de pensée intuitive et de raisonnement logique. Dans quinze ans, on pourra créer des ordinateurs pourvus de qualités intellectuelles, émotionnelles et capables d’éprouver des sentiments tels que le désir [sic]. Dans vingt ans, on aura conçu des superordinateurs qui tisseront des liens amicaux avec la société humaine » 29.

Ces spéculations futuristes ont été longuement développées par les mouvements posthumanistes et transhumanistes qui fascinent tellement les postmodernistes en quête de « remodelage » de l’être humain et de « transgression » de la nature humaine 30. Certains, envoûtés par l’idée d’hybrider l’humain, l’animal (voire le végétal) et le machinique, envisagent même de créer une race de super-cyborgs, autrement dit des êtres bioniques – appelés « Successeurs de l’homme » – qui auraient dépassé voire supprimé les humains grâce à l’intelligence non biologique, les biotechnologies, les sciences cognitives, les xénogreffes, les transgénèses, les manipulations génétiques, le clonage, l’utilisation d’organes artificiels, etc. Ce sont évidemment les ordinateurs, les robots et les nanotechnologies qui autorisent toutes ces divagations prospectives. L’un de ces posthumanistes, Jean-Michel Truong, explique ainsi que « bientôt, nous n’hésiterons pas à mettre [les ordinateurs] dans notre corps ou dans notre cerveau » 31. Le corps humain pourrait être alors « équipé » d’innombrables nanorobots qui détruiraient les agents pathogènes, élimineraient les toxines, corrigeraient les anomalies de notre ADN, interagiraient avec les neurones biologiques et finiraient par générer des organismes où les organes biologiques seraient remplacés par des systèmes nanorobotiques ultraperformants. Ray Kurzweil, messie convaincu du transhumanisme 32, n’hésite pas, quant à lui, à multiplier les prophéties futurologiques destinées à éclairer les « progrès » en direction de la « Singularité » qui est censée représenter la transgression totale de nos « racines biologiques » par une révolution biotechnologique sans précédent : « Il prédit qu’en 2030, des nanorobots (à avaler en solution buvable) permettront la connexion électro-biochimique entre notre néocortex et le cloud. L’étape suivante serait carrément l’uploading, c’est-à-dire le téléchargement du cerveau dans un ordinateur ou dans le cloud : notre conscience dématérialisée. Enfin immortel » 33. Ce saut vertigineux devrait non seulement mettre fin à notre incarnation, transformer de fond en comble notre espèce, fracasser nos identités en bouleversant la structure de notre cerveau et de notre corps, mais aussi changer radicalement notre intelligence biologique par le développement d’une super intelligence artificielle indépendante. En somme l’apparition d’une nouvelle espèce (la Singularité) se fera, selon ces prévisions fantaisistes, sur l’extinction du vieux genre humain 34. Le fantasme dominant qui guide ces constructions est l’obsession du corps parfait qui pourrait être produit par la convergence des nanotechnologies (N), des biotechnologies (B), des sciences de l’informatique (I) et des sciences cognitives (C) (NBIC). Toutes ces technosciences seraient alors capables de modifier fondamentalement les conditions existentielles d’Homo sapiens 35. D’abord celles de la naissance : procréation médicalement assistée (PMA), fécondation in vitro (FIV), diagnostic prénatal (DPN), diagnostic génétique préimplantatoire (DPI), banques d’ovules et de spermes, clonage, gestation pour autrui (GPA), utérus artificiels 36, etc. Ensuite celles du vieillissement et de la maladie : régénération des organes, nanomédecine, transplantations, etc. Enfin celles de la finitude et de la mortalité : immortalisation de la conscience par la possibilité de se détacher de son enveloppe corporelle comme l’on change d’esquif. « J’appelle Successeur, déclare Jean-Michel Truong, cette forme de vie nouvelle susceptible de prendre la suite de l’homme comme habitacle de la conscience » 37.

Résumant les rêves éveillés du futurisme transhumain, particulièrement ceux de Kurzweil, Bruce Benderson a détaillé avec gourmandise les « progrès » de notre « devenir-machine » pour paraphraser ironiquement une expression de Gilles Deleuze. Les machines de l’intelligence artificielle et les robots, nous dit-on, communiqueront entre eux et avec nous (vers 2040 selon Kurzweil…) et transformeront radicalement notre condition corporelle vouée à la déchéance. Grâce aux machines, écrit Bruce Benderson, « nous nous mettrons à copier nos organes et les systèmes biologiques de notre corps à l’aide de substances synthétiques, et non plus de protéines. Le changement le plus important concernera le cerveau humain, lorsque les neurones produits par la nanotechnologie seront insérés dans le tissu nerveux et fonctionneront de conserve avec les neurones biologiques. Petit à petit, ces neurones synthétiques deviendront notre outil primaire de pensée, parce qu’ils auront un potentiel mille fois supérieur aux tissus biologiques […] Des nanorobots, à la taille mesurée en microns, imiteront les globules rouges du sang ainsi que les cellules des autres organes, se substitueront aux tissus malades et nettoieront la plaque des valves cardiaques pour nous assurer une existence de plus en plus longue. Tout cela ne sera toutefois que temporaire, parce qu’à l’avenir nous n’aurons plus besoin d’organes biologiques pour exister […]. Nous serons des appareils mécaniques, qui permettront le mouvement en cas de besoin, animés par quelque forme électronique d’énergie » 38. Envisageant « la perspective d’un posthumanisme » – non sans une certaine complaisance sensationnaliste suspecte pour un philosophe –, Jean-Michel Besnier n’a pas hésité, lui aussi, à prendre au sérieux les descriptions enchantées de l’homme bionique, en laissant d’ailleurs soigneusement flotter l’ambiguïté quant à son degré d’adhésion : « Aujourd’hui l’idéal d’autonomisation de l’Esprit culmine avec le fantasme d’une auto-production qui nous délivrerait de la nécessité de la naissance, par le moyen du clonage ou de l’utérus artificiel. Il culmine aussi avec le rêve d’une immortalisation qui, grâce à la congélation des corps ou au téléchargement de la conscience, nous débarrasserait de l’inconvénient d’avoir à mourir. Et puis, plus simplement, il culmine avec la conviction que la maladie, cette erreur de la Nature, doit disparaître et que la médecine – la nanomédecine – offrira bientôt les moyens pour l’organisme de s’autoréparer » 39. Dans un accès de lucidité Jean-Michel Besnier est pourtant bien conscient que le projet de l’homme augmenté est d’abord et avant tout le projet radical d’auto-métamorphose démiurgique : « Quand on s’aventurera à intervenir sur son génome ou à le modifier au stade de l’embryon, ainsi que l’Université Su Yat-sen de Canton (Chine) vient de l’entreprendre, on aura bel et bien franchi une étape irréversible » 40.

Toutes ces interventions technologiques sur le corps posent de manière drastique la question du statut ontologique de cette « substance » ou de cette « chair » qui est la mienne et à laquelle je suis indissolublement lié, pour le meilleur et pour le pire : de quoi suis-je fait ? Si mon corps peut être réparé, modifié, altéré, pénétré par des objets matériels, des greffes, des artefacts, des mécanismes, jusqu’à quel point suis-je encore « mon » corps quand celui-ci devient un agglomérat d’éléments extérieurs à ma chair ? Comment même penser la propriété, la singularité et l’ipséité du corps si les implants, les prothèses, les machines et la chair sont à ce point en osmose ou potentiellement équivalentes ? Aurel David, après avoir remarqué que les barrières biologiques tombent les unes après les autres, écrivait dès 1965 : « Les organes notamment se comportent comme des machines : ils sont standardisables et interchangeables avec de véritables machines matérielles » 41. Après les greffes, les organes artificiels, l’intelligence artificielle, les régulations biochimiques des humeurs, des comportements et des réactions, bref l’ouverture quasi totale du corps aux flux et objets matériels extérieurs, que reste-t-il encore du sentiment de l’appropriation naturelle du corps ? « Il faut prévoir, souligne Aurel David, que d’autres parties de ce que nous croyions être l’humain se désagrégeront et tomberont dans la matière. La vie se retire sur un ponton toujours plus étroit, autour duquel l’humaniste doit lutter, dans l’eau jusqu’aux genoux » 42. Ce qui semblait par conséquent assuré depuis des temps immémoriaux, à savoir l’unité, l’unicité et l’identité du corps, se dissout à présent dans l’univers inorganique anonyme. Le corps tend ainsi à perdre son statut de réalité individuelle irrécusable, d’incarnation inéchangeable, insubstituable, pour devenir un hors-lieu abstrait, désapproprié, déterritorialisé, déshumanisé. Si tout du corps, ou presque tout tendanciellement, peut être en effet ramené à des montages mécaniques ou biomécaniques, si le principe de substitution équivalente peut s’appliquer à l’ensemble des fonctions corporelles, que reste-t-il alors du corps propre, du lien intime, singulier, à notre corps ? La thèse de la phénoménologie – « je suis mon corps » – a-t-elle encore un sens si mon corps devient progressivement un assemblage de choses fabriquées, importées, étrangères ?

Les fantastiques progrès de la médecine et des biotechnologies ont par conséquent  – qu’on le veuille ou non – totalement changé la conception que l’on pouvait avoir de la corporéité en mettant radicalement en question l’inaliénabilité et la « monadicité » du corps, en l’« ouvrant » sur le monde matériel, en organisant surtout la circulation générale des parcelles du corps, l’échange mercantile généralisé entre l’organique et l’inorganique : « Comme on abandonne son vieux poste pour en acheter un meilleur, écrit Aurel David, on se fait extraire une côte cassée pour la remplacer par une vertèbre en matière plastique. Tant que le corps était un monde fermé, dont toutes les parties s’appartenaient, l’on ne pouvait savoir s’il s’agissait d’une unité naturelle ou d’une propriété très forte. Aujourd’hui le miracle unitaire n’a pas disparu. Mais les vertèbres n’en font plus partie. On a ouvert l’homme et on a enlevé les vertèbres. Il s’installe alors une sorte d’analyse soustractive : l’homme est un monde fermé dont toutes les parties s’appartiennent indissolublement à l’intérieur d’un commun miracle. Mais il s’agit de l’homme moins la peau (greffable), moins le sang (donnable), les os, le cœur, les reins, les neurones, etc. » 43.

Les avancées biotechnologiques visant à faire advenir le cyborg auront de plus en plus tendance à dissoudre la notion même de personne, avec son individualité spirituelle et corporelle. En effaçant les frontières du corps, en organisant l’hybridité corporelle, en favorisant l’auto-métamorphose technique, en cherchant surtout à dissocier le sujet de son corps, comme on se débarrasse d’une dépouille ou d’un vêtement usagé, la cyborgisation, si elle devait se réaliser, conduira à annihiler la condition charnelle de l’individu avec sa temporalité propre, ses affects, ses affections. Cherchant à nier le fait que nous naissons, vieillissons et mourrons dans et par notre corps, l’idéologie du cyborg est ainsi profondément nihiliste et dépersonnalisante parce qu’elle est la négation de l’incarnation concrète de chaque individu, autrement dit de son histoire singulière – biologique (organique) et existentielle (spirituelle) – au profit d’une abstraction technoscientiste réifiante. Pour toute personne vivante en effet, le corps n’est jamais un « réceptacle », un « esquif », une « machine », un « support », un « assemblage », mais bel et bien la chair indissociable de son vécu quotidien, tant dans l’état vigile ordinaire que dans le sommeil ou les états altérés. « Le corps vivant, souligne Jürgen Habermas, est le médium par lequel l’existence personnelle s’incarne […]. Au corps vivant se rattache le sens directionnel, faisant la part du centre et de la périphérie, de ce qui nous est personnel et de ce qui nous est étranger […]. Il reste que l’existence corporelle permet ces distinctions perspectivistes à une seule condition : que la personne s’identifie à son corps vivant. Or, pour que la personne puisse ne faire qu’un avec son corps, il semble qu’il lui soit nécessaire de l’éprouver comme s’inscrivant dans la croissance naturelle – comme le prolongement de la vie organique, se régénérant elle-même, dont la personne est issue par sa naissance » 44.

Günther Anders a dès les années 1950 pronostiqué l’obsolescence de l’homme résultant de « l’human engineering » dont l’objectif affiché est de repousser les limites du corps au-delà même du possible. Pour l’homme contemporain, souligne-t-il, le rêve « serait évidemment de devenir semblable à ses dieux – les machines – ou, mieux encore, de leur appartenir au point de leur devenir en quelque sorte totalement et absolument consubstantiel » 45. Dès lors le rêve prométhéen serait d’aller au-delà des capacités naturelles de la corporéité en s’affranchissant de plus en plus de ses manques ou insuffisances. Or, cette tendance irrépressible au dépassement physique des limites reflète de toute évidence une aspiration métaphysique : l’homme prétend non seulement être « maître et possesseur de sa propre nature », mais aussi, plus fondamentalement, créateur sans entraves de lui-même, de son corps et de ses capacités. « Tel un pionnier, écrit encore Günther Anders, il repousse ses frontières toujours plus loin ; il s’éloigne toujours davantage de lui-même ; il se “transcende” toujours plus – et s’il ne se transpose pas dans la région du surnaturel, il change néanmoins, puisqu’il repousse les limites innées de sa nature vers le royaume de l’hybride et de l’artificiel. Bref, le but de l’expérience est de soumettre la nature physique, qu’on a toujours considérée (à l’exception de la magie et de la médecine) comme un “fatum”, à une transformation, de la dépouiller de sa fatalité […]. Les expériences du “human engineering” sont vraiment les rites initiatiques de l’époque des robots » 46.

 

Pour conclure je dirai que le posthumanisme/transhumanisme, malgré ses spéculations hasardeuses et ses rêveries fantasmatiques, doit être pris au sérieux philosophiquement parce qu’il pose toute une série de questions liées aux bouleversements ontologiques, technoscientifiques, politiques et éthiques à venir comme l’a bien montré le philosophe belge Gilbert Hottois 47. Pour ma part j’en soulignerai quatre :

1) L’évolution biologique naturelle d’Homo sapiens, avec ses aléas et ses ratés, peut-elle et doit-elle être supplantée par une fabrication ou une sélection artificielle d’un « homme augmenté », lui-même préfigurant une nouvelle espèce posthumaine, un cyborg, un « successeur » ?

2) L’application systématique des biotechnologies ne va-t-elle pas devenir une nouvelle forme d’eugénisme, en particulier dans le domaine de la procréation avec la recherche de l’enfant parfait sur catalogue, nouvel avatar du Lebensborn nazi qui était destiné à produire des bébés aryens standard ?

3) La généralisation industrielle et commerciale des NBIC et de la médecine de l’« augmentation » ou de l’« amélioration » (Human Enhancement) ne va-t-elle pas finir par être le fer de lance de la marchandisation totale de l’existence humaine ?

4) La domination sans partage des NBIC ne risque-t-elle pas de préfigurer une société totalitaire sous le contrôle exclusif des experts et autres sujets supposés savoir, expropriant ainsi la démocratie de tout contenu réel ? L’histoire a suffisamment montré en effet que le fantasme de toute-puissance qui régit l’idée d’homme nouveau ne peut conduire qu’à la destruction ou à l’élimination de l’homme réel.

 

Jean-Marie Brohm

Université d’Évreux, 2 octobre 2015.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

1 Ludwik Fleck, Genèse et développement d’un fait scientifique, Paris, Flammarion, « Champs sciences », 2008.

2 Voir Jean-Marie Brohm, « Du corps machine au corps augmenté. Illusion postmoderne et délire posthumaniste », Quel Sport ?, n ° 28/29 (« L’inconscient politique du corps »), septembre 2015.

3 L’association française transhumaniste s’appelle d’ailleurs Technoprog, autrement dit « technoprogressiste ».

4 René Descartes, Discours de la méthode pour bien conduire sa raison et chercher la vérité dans les sciences, Paris, GF Flammarion, 2000, sixième partie, p. 99.

5 Julien Offray de La Mettrie, L’Homme-Machine, Paris, Gallimard, « Folio », 1999, p. 152.

6 Ibid., p. 177.

7 Ibid., p. 147.

8 Ibid., p. 193.

9 Ibid., p. 196.

10 Ibid., p. 199.

11 Condorcet, Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain, Paris, GF Flammarion, 1988, dixième époque : «  Des progrès futurs de l’esprit humain », p. 266.

12 Ibid., p. 294.

13 Ibid., p. 294.

14 Voir le dossier publié par La Recherche, n ° 504, octobre 2015 : « Vivre 140 ans. Du fantasme à la réalité », p. 82 : « Aujourd’hui cela tient plus du fantasme que de la réelle piste de recherche. Mais si l’on ajoute à cela les progrès faits en intelligence artificielle, en nanotechnologie ou en robotique, on imagine sans peine l’infinité d’interventions qui pourraient être menées pour réparer ou améliorer l’humain ». La recherche démiurgique de l’enhancement est bien le ciment idéologique qui tient les collectifs de pensée post et transhumanistes.

15 Les robots chirurgiens, de plus en plus utilisés, sont mis en œuvre, y compris à distance, pour assister les chirurgiens par exemple dans des opérations délicates. Les robots boxeurs constituent des sparrings partners programmés à délivrer différentes sortes de coups (crochets, uppercuts, directs) auxquels s’adapte le boxeur en chair et en os. Les robots en rugby, véritables monstres mécaniques, simulent quant à eux le pack adverse et la variété de ses poussées et réactions.

16 Voir la critique de cette idée de « vie impérissable » par Vladimir Jankélévitch, La Mort, Paris, Flammarion, « Champs », 1977, pp. 385 et suivantes. Sur les fantasmes d’amortalité ou d’immortalité voir aussi Louis-Vincent Thomas, Anthropologie de la mort, Paris, Payot, 1975.

17 Monique Vigy, « L’homme en pièces », Le Figaro, 1er février 1982.

18 Voir par exemple Georg Simmel, « La signification esthétique du visage », in La Tragédie de la culture et autres essais, Paris, Éditions Rivages, 1988.

19 Voir Noëlle Châtelet, Le Baiser d’Isabelle. L’aventure de la première greffe du visage, Paris, Éditions du Seuil, 2007 ; Dominique Baqué, Visages. Du masque grec à la greffe du visage, Paris, Éditions du Regard, 2007, qui est une mise au point anthropologique, artistique et médicale très complète.

20 Ces tendances existent depuis plus de trente ans, voir Monique Vigy, « Bientôt de la peau et du sang artificiels », Le Figaro, 5 février 1982 ; Jean-Yves Nau, « À l’ère de l’organe artificiel », Le Monde, 2 et 3 décembre 1984 ; « L’Homme artificiel : business contre utopie », L’Express aujourd’hui, 13 mai 1988.

21 Sophie Seroussi, « Bionique : l’homme en pièces détachées », Le Monde, 19 octobre 1980.

22 Russell Scott, Le Corps, notre propriété. Les greffes d’organes et leur commerce, Paris, Balland, 1982, pp. X et XI. Voir aussi le dossier établi par Louis Avan, Michel Fardeau et Henri-Jacques Stiker, L’Homme réparé. Artifices, victoires, défis, Paris, Gallimard, « Découvertes », 1988.

23 Jérôme Goffette, Naissance de l’anthropotechnique. De la médecine au modelage de l’humain, Paris, Vrin, 2008, p. 169.

24 Ibid., p. 168. Voir aussi Jérôme Goffette, Alex Guïoux et Evelyne Lasserre, « Cyborg : approche anthropologique de l’hybridité corporelle bio-mécanique », Anthropologie et société, volume 28, n° 3, 2004 ; Jérôme Goffette, « Anthropotechnie : cheminement d’un terme, concepts différents », Alliage, n ° 67 (« Perfection et perfectionnements du corps »), octobre 2010.

25 « Une banque d’organes bioartificiels créée à Madrid », Le Monde, 6 novembre 2010.

26 Hervé Morin, « Implantation réussie de vagins bioartificiels », Le Monde, 16 avril 2014.

27 Voir « L’informatique au secours des infirmes moteurs cérébraux », Le Monde, 23 octobre 1983 ; « La parole est à la machine », Le Monde, 8 et 9 avril 1984.

28 Alexandre Dorozynski, « Prothèses », Traverses, n ° 14-15 (« Panoplies du corps »), avril 1979, p. 209.

29 Mariano Sigman, « Des chercheurs japonais créent un nouveau cerveau », Le Monde diplomatique, août 2001, p. 19.

30 Voir notamment Peter Sloterdijk, Règles pour le parc humain, Paris, Mille et une nuits, 2000 ; Peter Sloterdijk, La Domestication de l’être. Pour un éclaircissement de la clairière, Paris, Mille et une nuits, 2000, textes où est développée l’idéologie postmoderne de « l’anthropotechnique », de « l’élevage » et de la « fabrication de l’homme ». Voir aussi Donna Haraway, Manifeste cyborg et autres essais. Sciences, fictions, féminismes, Paris, Exils, 2007. Après « l’appropriation féministe du cyborg », Donna Haraway n’hésite pas à mettre à contribution les chiens qui « pourraient s’avérer de meilleurs guides dans l’exploration des profondeurs techno-biopolitiques du Troisième millénaire de notre Ère » (Donna Haraway, Manifeste des espèces de compagnie. Chiens, humains et autres partenaires, Paris, Éditions de l’éclat, 2010, p. 18). Voir aussi Donna Haraway, Des singes, des cyborgs et des femmes, Arles, Actes Sud, 2008. À quand une étude féministe sur l’Arche de Noé et les cyborgs ?

31 Jean-Michel Truong, Totalement inhumaine, Paris, Les Empêcheurs de penser en rond, 2001, p. 32. Sur ces chimères postmodernes, voir Rémi Sussan, Les Utopies posthumaines. Contre-culture, cyberculture, culture du chaos, Montreuil, Omniscience, 2005 ; Ollivier Dyens, La Condition inhumaine. Essai sur l’effroi technologique, Paris, Flammarion, 2008. Pour une approche critique nuancée voir Dominique Lecourt, Humain, posthumain. La technique et la vie, Paris, PUF, 2003.

32 Ray Kurzweil, Humanité 2. 0. La bible du changement, Paris, M21 Éditions, 2007. Pour une analyse critique d’une hypothétique « civilisation posthumaine », voir André Gorz, L’Immatériel. Connaissance, valeur et capital, Paris, Galilée, 2003, notamment le chapitre « De l’obsolescence du corps à la fin du genre humain », pp. 130 et suivantes.

33 « Un courant de pensée en augmentation », Libération, 8 décembre 2014 (« Transhumanisme, le serment d’hypocrytes »).

34 Voir Jean-Claude Guillebaud, « L’homme en voie de disparition ? », Le Monde diplomatique, août 2001.

35 Pour une discussion d’ensemble sur l’hybridation technologique du corps, du corps augmenté, du corps surnaturé, voir Édouard Kleinpeter (dir.), L’Humain augmenté, Paris, CNRS Éditions, « Les essentiels d’Hermès », 2013 ; Brigitte Munier (dir.), Technocorps. La sociologie du corps à l’épreuve des nouvelles technologies, Paris, Éditions François Bourin, 2013.

36 Voir Henri Atlan, L’Utérus artificiel, Paris, Éditions du Seuil, 2005. « Ce qui est illustré ici par la pratique banalisée des fécondations in vitro trouverait son prolongement dans les spéculations ouvertes par l’utérus artificiel qui nous débarrassera de l’inconvénient de naître à partir de la rencontre hasardeuse de deux sexes » (Jean-Michel Besnier, Demain les posthumains. Le futur a-t-il encore besoin de nous ?, Paris, Hachette Littératures, « Haute tension », 2009, p. 129).

37 Jean-Michel Truong, Totalement inhumaine, op. cit., p. 49.

38 Bruce Benderson, Transhumain, Paris, Payot et Rivages, 2010, pp. 40-41. Voir aussi Denis Baron, La Chair mutante, fabrique d’un posthumain, Paris, Éditions Dis Voir, 2008, qui est un panorama des modifications, métamorphoses, hybridations du corps envisagées par certains bioartistes et scientifiques contemporains : « À l’ère des révolutions digitales et technobiologiques, le corps qui apparaît dans l’art contemporain est un savant mélange entre représentation et expérimentation, virtuel/fictif ou réel. Représentation du corps où, au-delà du brouillage des limites entre le corps organique et l’artefact technologique, ce sont d’autres dichotomies qui s’écroulent comme le corps et l’esprit, le sexe et le genre » (p. 81). La volonté de fabriquer des êtres transgéniques, des « transcorps », des chimères hybrides organiques/machiniques, humaines/animales, vivantes/mortes – ne peut pas ne pas être interprétée comme une forme de délire technocratique.

39 Jean-Michel Besnier, Demain les posthumains. Le futur a-t-il encore besoin de nous ?, op. cit., p. 115. Le transhumanisme, qui envisage sans sourciller la possibilité de cyborgs postbiologiques ou d’hybrots (robots hybrides), cyberorganismes qui seraient une fusion d’éléments électroniques et biologiques contrôlés par l’informatique, est la radicalisation de toutes les tendances post-humanistes. Pour Kurzweil et ses émules, notre métamorphose en machines est imminente à l’aube d’une ère nouvelle : « Seuls les cyborgs postbiologiques qui auront sacrifié leur organisme pour devenir aussi performants que les nouvelles machines pourront travailler avec ces “créatures” supérieures, et ces deux espèces [sic] deviendront les nouveaux maîtres du monde » (Bruce Benderson, Transhumain, op. cit., p. 48).

40 Jean-Michel Besnier, « L’humain “augmenté” ad vitam æternam », Le Monde, 2 septembre 2015.

41 Aurel David, La Cybernétique et l’humain, Paris, Gallimard, « Idées », 1965, p. 151.

42 Ibid., p. 16.

43 Ibid., pp. 154-155.

44 Jürgen Habermas, L’Avenir de la nature humaine. Vers un eugénisme libéral ?, Paris, Gallimard, 2002, p. 89.

45 Günther Anders, L’Obsolescence de l’homme. Sur l’âme à l’époque de la deuxième révolution industrielle (1956), Paris, Éditions Ivrea, 2001, p. 53.

46 Ibid., p. 55 et 59.

47 Gilbert Hottois, Le Transhumanisme est-il un humanisme ?, Bruxelles, Académie Royale de Belgique, 2014. Ce petit ouvrage rappelle les réseaux économiques, technologiques et politiques du transhumanisme (notamment américains), ses présupposés idéologiques, ses objectifs et ses conséquences éthiques.

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